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The Pamphlet Collection of Sir Robert Stout: Volume 28

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VIII

Ce qui retarde le plus, à mon avis, le mouvement de l'épargne, c'est que les enfants quittent l'école à un âge où ils ne comprennent pas encore qu'épargner est un devoir. Qu'est-ce qu'un enfant de dix ans comprend en fait de devoirs, et surtout d'un devoir aussi pénible que l'épargne? Il oublie les leçons d'économie qu'il a reçues, de m≖me qu'il oublie tout ce qu'on lui a appris. Si l'on parvenait à retenir les enfants à l'école jusqu'à l'âge de 14 ans, notre but serait atteint, notre cause gagnée. A 14 ans, en effet, l'enfant aura acquis le goût de l'instruction, il ne manquera pas de fréquenter une école d'adultes, et là on le maintiendra dans les bonnes habitudes qu'il aura contractées à l'école primaire. Pour le moment, vous ne pouvez faire qu'une chose, pr≖cher l'épargne à toute occasion et sous toutes les formes. Il faut sans cesse demander aux enfants ce que c'est qu'épargner et pourquoi ils épargnent. Ces petits ≖tres sont si légers et l'épargne est chose si sérieuse, que l'on doit en parler souvent si l'on veut faire impression sur leur esprit. Un excellent moyen, c'est de prendre l'épargne comme sujet de devoir, soit de style, soit de calcul. Et ne vous contentez pas d'un seul devoir, donnez-en beaucoup, jusqu'à ce que l'épargne devienne une idée habituelle, et qu'elle entre pour ainsi dire dans le sang de vos élèves.

J'ai toujours conseillé aux instituteurs et aux institutrices de prendre eux-m≖mes un livret à la Caisse d'épargne. On pr≖che mal quand on ne pr≖che pas d'exemple. Puisque vous dites à vos élèves que l'épargne est une vertu, vous ≖tes tenus de pratiquer cette vertu, sinon vos paroles ne produiront aucun effet. Cela est surtout nécessaire quand il page 28 s'agit d'introduire l'épargne à l'école; vous aurez à vaincre la défiance des parents; cette défiance tombera quand ils verront que vous-m≖mes vous confiez vos économies à la Caisse d'épargne. Pour la m≖me raison, je voudrais que tout élève normaliste, sans exception, eût un livret. Je vois avec peine qu'il yen a parmi vous qui, à l'école communale, faisaient des épargnes et qui maintenant n'en font plus. Les excuses ne manquent pas : je n'en admets aucune, car je ne demande qu'une chose, une économie de quelques centimes, ce qui est possible à tout le monde.

La plupart des élèves qui quittent l'école cessent, dit-on, d'épargner. J'en ai dit la première cause : la sortie de l'école à un âge trop peu avancé. La faute cependant en est aussi aux instituteurs. Il y en a qui ne sont pas bien convaincus des bienfaits de l'épargne, disons mieux, de la nécessité d'enseigner l'économie aux enfants comme on leur enseigne toutes les vertus. C'est pour cette raison que je me suis décidé à vous faire cette conférence. Quand l'instituteur est à la hauteur de sa sainte mission, il conserve de l'influence sur les élèves qui quittent l'école; ils continueront à suivre ses conseils. Il y a un moyen bien facile de gagner cette influence : aimez les enfants, ils vous aimeront et leurs parents vous aimeront aussi. Demandez à ceux qui quittent, l'école de vous apporter leurs économies le dimanche; si vous avez su gagner leur affection, ils le feront. Suivez-les avec sollicitude dans leur carrière de travail, recommandez-leur sans cesse de fréquenter une école d'adultes; parlez aux parents, insistez, et vous finirez par vaincre tous les obstacles : il n'y en a aucun qui ne cède à l'affection.

Dans les écoles d'adultes, vous rencontrerez d'autres obstacles. Jusqu'ici elles sont fréquentées par des ouvriers et des ouvrières dont la plupart n'ont jamais été à l'école, ou qui, ayant quitté l'école trop jeunes, ont oublié le peu qu'ils page 29 y avaient appris. Ils sont, comme on dit, incultes. Vous leur parlez de devoir, ils ne savent pas ce que c'est. Vous faites appel au sentiment de leur dignité, ce sentiment, ils ne l'ont pas. Vous vous adressez à leur conscience, elle est muette. Il ne faut cependant pas perdre courage. Patientez : ce qui manque aux ouvriers illettrés, c'est que, leur intelligence n'étant pas cultivée, leur conscience n'est pas éclairée. A mesure que l'intelligence se développe, la conscience s'éveille. En m≖me temps vous gagnerez la confiance de vos élèves; à force de les aimer, vous vous les attacherez et vous obtiendrez d'eux ce que vous voudrez. Ils vous feront mille objections, répondez-y avec douceur. L'un vous dira qu'il ne peut pas épargner; enquérez-vous de ses habitudes, et vous trouverez qu'il a des besoins factices pour lesquels il sait très-bien économiser. Combien y en a-t-il qui n'épargnent pas à l'école et qui dépensent dix, vingt francs et plus au carnaval! D'autres vous diront qu'il ne vaut pas la peine d'économiser : faites-leur faire de petits calculs sur la capitalisation des intér≖ts, ils seront étonnés du résultat. Il yen a qui répondent qu'ils n'en ont pas le goût : prouvez-leur que l'économie est un devoir, et que l'on est tenu de remplir ses devoirs, que l'on y ait goût ou non.

Le grand obstacle que vous rencontrerez chez les adultes, ce sont leurs habitudes de dépense et de dissipation. C'est comme une maladie contagieuse qui infecte les enfants au moment où ils quittent l'école. C'est l'époque la plus dangereuse de la vie de l'ouvrier. Je ne connais qu'un remède au mal, ce sont les sociétés ouvrières. Les ouvriers y trouvent des distractions, des amusements, en m≖me temps que l'instruction et la moralisation. Vous, mes amis, vous pouvez exercer une grande influence au sein de ces sociétés. Fréquentez-les,-donnez-y des conférences, qui ne doivent ≖tre que des causeries sur ce qui intéresse l'ouvrier, et sur- page 30 tout sur ses devoirs. Pr≖chez aux femmes les vertus domestiques et le bonheur qu'elles trouvent à les pratiquer. Pr≖chez aux hommes, contre les excitations funestes de ceux qui veulent bouleverser la société; prouvez-leur qu'ils peuvent ≖tre heureux dans leur condition d'ouvrier.

Je demande beaucoup de vous, mes amis. J'ai commencé par vous dire que vous ≖tes les artisans de la civilisation. Pénétrez-vous bien de la grandeur de votre mission, et remplissez-la avec zèle et dévouement. Vous trouverez votre bonheur dans cette vie de sacrifice, car le bonheur consiste à aimer. Et qui donc est plus heureux que vous sous ce rapport? Chaque année amène sur les bancs de l'école une génération nouvelle, donc des enfants à aimer, et qui vous rendront l'affection que vous leur témoignez. Ne vous plaignez pas de votre humble condition, car en vérité vous ≖tes les privilégiés de ce monde : vous aimez et vous ≖tes aimés jusqu'au dernier jour de votre vie. N'enviez pas les richesses; qui donc est plus riche que vous? Vous possédez des trésors d'affection, et ces trésors sont inépuisables.

Heureux ceux d'entre vous qui comprennent la sainteté de leur vocation!