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The Pamphlet Collection of Sir Robert Stout: Volume 28

IV

IV

Quand l'enfant reste à l'école jusqu'à quatorze ans, on peut lui faire comprendre les bienfaits moraux de l'épargne. Ceci est, à mon avis, le point essentiel, c'est aussi le plus difficile. J'appelle toute votre attention, mes amis, sur ce que je vais vous dire. L'homme a des besoins qu'il doit satisfaire; il y a donc des dépenses nécessaires, légitimes. Mais l'homme a aussi des besoins qu'il se crée lui-m≖me, et que pour cette raison on appelle factices, en les opposant aux besoins naturels. Les besoins que la nature nous donne sont limités. Il ne faut qu'une certaine quantité d'aliments pour vivre; si nous la dépassons, nous détruisons la vie au lieu de l'entretenir, car une alimentation excessive engendre des maladies et donne la mort. Il en est de m≖me des autres besoins naturels; il ne vous faut qu'un habit pour vous couvrir, vous n'en mettez pas deux; vous ne pouvez pas habiter deux maisons à la fois. Quant aux besoins de l'intelligence, on les satisfait bien facilement; l'instruction est donnée gratuitement aux pauvres, et les bibliothèques publiques, les bibliothèques populaires, les musées fournissent des moyens gratuits de continuer l'éducation intellectuelle commencée dans nos écoles.

Les besoins factices, au contraire, n'ont pas d'autre limite que les désirs de l'homme, et ces désirs sont infinis. Vous n'avez qu'à jeter les yeux autour de vous pour vous en convaincre. Ou mieux encore, descendez dans votre conscience, scrutez vos goûts, vos habitudes et vous trouverez en vous-m≖mes le germe de ces besoins immodérés que page 13 l'homme s'ingénie à multiplier sans cesse. Je prends comme exemples des besoins factices qui se sont déjà développés chez vous : la plupart des élèves instituteurs fument, et je ne me trompe guère en affirmant que presque toutes les élèves institutrices ont le goût de la toilette. Est-ce que fumer est un besoin naturel? Je ne fume pas, ce qui ne m'a pas emp≖ché d'arriver à la vieillesse. Voilà donc une dépense inutile; je dis plus, d'ordinaire elle est nuisible : l'usage immodéré du tabac engendre des maladies, il donne la mort. J'ai vu mourir, à la fleur de l'âge, un ami, un beau-frère, époux, père, donnant les plus belles espérances; c'est le cigare qui a précipité sa mort. Vous me direz que c'est là l'abus! Oui, mais l'abus est inévitable, car le désir que l'on satisfait finit par devenir une passion, et la passion ne s'arr≖te devant rien, pas m≖me devant la crainte de la maladie et de la mort. Cet ami dont je vous parle était un homme très-intelligent, il sentait qu'il se faisait du mal en fumant; nous lui disions qu'il se tuait, et cependant il continuait à fumer.

Il est presque inutile que je parle du goût désordonné de la toilette. Dès que dans vos habits vous dépassez la simplicité qui n'exclut pas le bon goût, vous faites une dépense inutile. Si cette dépense ne nuit pas au corps, et souvent elle lui nuit, par contre elle vicie l'âme et parfois elle lui devient mortelle. La jeune fille qui ne songe qu'à sa parure devient futile; elle oublie que sa mission sur cette terre est d'orner son esprit et son cŒur, et non pas de parer son corps. Le goût du luxe lui fait désirer des habillements qui sont au-dessus de sa condition et de sa fortune. Comment se les procurera-t-elle? Je m'arr≖te... Combien de jeunes filles se sont perdues par amour de la toilette!

Maintenant vous comprendrez l'influence morale de page 14 l'épargne. Épargner, c'est retrancher toutes les dépenses inutiles, toutes les dépenses qui dépassent nos besoins réels, toutes les dépenses qui ne sont pas en harmonie avec notre condition sociale. Pour épargner, il faut donc modérer ses désirs : toute économie que nous faisons est une victoire remportée sur quelque mauvaise passion. En ce sens, l'épargne est le principe de la vertu. Voyez ce petit enfant de nos écoles gardiennes qui le lundi apporte à sa maîtresse les deux centimes qu'on lui a donnés le dimanche; pour ne pas acheter un fruit avec sa pièce de monnaie, il a dû vaincre un désir, il est sorti vainqueur de cette lutte : c'est la voie du perfectionnement moral. Les désirs grandissent avec l'âge; celui qui, tout enfant, a appris à les modérer, à les réprimer, saura aussi plus tard vaincre des passions plus fortes. Voilà comment l'épargne devient l'apprentissage et la pratique du devoir. Et n'est-ce pas là notre destinée? Dieu ne nous appelle-t-il pas à lutter sans cesse contre nos mauvais penchants? et la victoire dans cette lutte incessante n'est-elle pas le couronnement de notre vie? Que si, au contraire, l'enfant s'habitue à satisfaire tous ses désirs, il fait pour ainsi dire, dès son berceau, l'apprentissage du mal; car il fera adolescent ce qu'il faisait dans son enfance. Vainement la raison et la conscience lui diront-elles qu'il doit combattre les passions qui prennent tous les jours plus d'empire sur son âme; il n'a pas la force de lutter, parce qu'il a pris l'habitude de contenter toutes ses fantaisies. De m≖me que l'homme qui n'a pas développé son intelligence et son corps par le travail reste faible et ignorant, celui qui n'a jamais lutté contre ses passions n'a plus la force de les combattre; il est vaincu d'avance, il succombe sans avoir fait d'effort pour résister au mal, il va de chute en chute, et il aboutit à la mort de l'âme.

J'entends l'objection que vous me faites, mes amis. En- page 15 lever à l'homme ses désirs, direz-vous, tuer ses passions, c'est le priver de tout bonheur. Que de fois de bonnes mères et des hommes généreux nous ont reproché de rendre les enfants malheureux en leur refusant le seul plaisir qui soit de leur âge, celui de manger quelque friandise! Eh bien, c'est précisément parce que je tiens à ce que vous soyez heureux, et que vous donniez aux enfants qui vous seront confiés tout le bonheur dont ils peuvent jouir, que j'insiste tant sur l'idée de sacrifice qui est au fond identique avec l'idée de l'épargne. Oui, c'est un sacrifice que je demande, je veux que vous renonciez à ce que vous appelez des plaisirs; mais je prétends que ma morale sévère vous rendra bien plus heureux que vous ne le seriez en contentant vos goûts et vos fantaisies. Voilà une petite fille qui aime les rubans, elle serait malheureuse si elle ne pouvait pas se procurer ces chiffons; au lieu d'épargner l'argent de ses menus plaisirs du dimanche, elle le consacre à acheter ces futilités. La voilà contente et heureuse. Oui, mais il y a un revers à la médaille. L'enfant devient jeune fille, elle voit des dames richement parées, elle envie leur parure, elle la désire de toutes les forces de son âme; mais elle ne peut plus se donner ce bonheur, elle n'en a pas lés moyens. La voilà profondément malheureuse, et plus malheureuse encore si elle succombe aux tentations qui viennent l'assaillir avec une force irrésistible, parce qu'elle n'a pas appris à leur résister. Voyez, au contraire, cette autre enfant qui, dès l'école gardienne, a appris à modérer ses désirs et à les vaincre. Quand l'âge dangereux de la jeunesse arrive, elle a aussi des désirs, mais elle les réprime avec facilité, habituée qu'elle est à lutter. Elle ne se plaint pas de son sort, elle est contente et heureuse dans la condition où Dieu l'a fait naître. Laquelle de ces deux jeunes filles jouit du véritable bonheur?

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Ne me dites pas : Les riches sont donc bienheureux, puisqu'ils peuvent, eux, satisfaire tous leurs désirs. Non, ils ne le peuvent pas; et, si on ne leur apprend pas à les modérer, ils sont tout aussi malheureux que l'enfant de l'ouvrier qui envie leur prétendu bonheur. C'est que les désirs de l'homme sont infinis, tandis que les moyens de les satisfaire sont nécessairement limités. Vous aurez à élever un jour des enfants gâtés, c'est-à-dire des enfants dont les parents satisfont les moindres désirs. Eh bien, vous vous convain-crez qu'il n'y a pas d'enfants plus malheureux. Ils ne s'amusent plus de rien, parce qu'ils sont blasés sur tout; ils voudraient l'impossible : ils demandent qu'on leur donne la lune et les étoiles, et comme on ne peut pas les leur procurer, ils se fâchent, ils crient, ils trépignent de colère. Ces enfants gâtés sont l'image des hommes qui croient qu'ils trouveront le bonheur en satisfaisant tous leurs désirs : s'ils allaient à la recherche du malheur, ils ne pourraient pas s'y prendre mieux. Et cependant il y en a tant qui pensent ainsi! on peut dire sans exagération que la classe ouvrière est infectée de ce funeste préjugé : pour elle, les riches, qu'elle envie, sont les heureux de ce monde. Non, mes amis, la richesse n'est qu'un moyen, elle peut nous procurer le bonheur, elle peut aussi nous donner le malheur. Pour moi, j'ai toujours rendu grâces à Dieu de m' avoir fait naître pauvre. La pauvreté est une excitation au travail, et le travail est le lot de l'homme, car c'est par le travail qu'il développe ses facultés, et c'est là notre mission. C'est-à-dire que Dieu nous a imposé la loi de devenir de jour en jour plus parfaits; ceux qui obéissent à la voix de Dieu sont heureux, ceux qui ne l' écoutent pas sont malheureux.

L'ouvrier ne peut-il pas remplir sa mission ici-bas, tout en restant ouvrier, tout en étant pauvre? Les écoles lui fournissent le moyen de s'instruire; il y en a pour tous page 17 les âges. Voilà déjà un élément de bonheur dont les ouvriers incultes ne peuvent se faire une idée : ce sont les plaisirs intellectuels, jouissances pures qui ne laissent jamais de regrets. Les affections du cŒur ne leur manquent pas davantage : qui les emp≖che de s'aimer? et y a-t-il un plus grand bonheur que celui d'aimer et d'≖tre aimé? Qu'est-ce que l'ouvrier a donc à envier au riche? Rien. Il ne lui manque qu'une chose, c'est de savoir se contenter de la position sociale où Dieu l'a placé. C'est encore parce qu'il est inculte qu'il ne s'en contente pas. S'il réfléchissait un instant, ne se dirait-il pas que Dieu ne veut pas que tous les hommes soient riches, de m≖me qu'il ne veut pas que tous les hommes aient les m≖mes facultés intellectuelles et morales? Dieu nous donne la vie. Dieu nous doue des facultés de l'intelligence et de l'âme. Dieu nous fait naître à telle époque, dans tel pays, au sein de telle famille. C'est sa Providence qui dirige nos destinées; bénissons sa main au lieu de nous révolter contre lui, et n'est-ce pas se révolter contre Dieu que de maudire notre destinée parce que nous naissons pauvres?