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The Pamphlet Collection of Sir Robert Stout: Volume 28

II

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Quand je demande aux enfants de nos écoles ce que c'est qu'épargner et pourquoi ils épargnent, ils sont très-embarrassés pour répondre. Les uns disent : C'est mettre de l'argent de cÔté au lieu de le dépenser. Les autres ajoutent : C'est afin d'avoir une pomme pour la soif. Il y a du vrai dans ces réponses, mais ce n'est pas toute la vérité. L'avare aussi met son argent de cÔté au lieu de le dépenser; ce- page 6 pendant on ne dira pas de lui qu'il est économe. Il y a donc une économie qui est une vertu, et il y a une épargne qui est un vice. Ce ne sont pas les enfants seuls qui confondent l'avarice et l'épargne. Des hommes bien intentionnés nous ont reproché d'enseigner l'avarice aux enfants, ou du moins de les transformer en spéculateurs, en leur enlevant la générosité de sentiments qui, dit-on, les distingue. Il s'agit ici du point capital de notre Œuvre, il faut nous y arr≖ter.

Il suffit d'un peu de réflexion, mes amis, pour ne pas confondre l'avarice et l'économie. Pourquoi l'avare entasse-t-il son argent, au point de se priver du nécessaire? Il entasse pour entasser; pour lui la richesse est le but de toute sa vie, et il ne songe pas m≖me à jouir de ses trésors. L'avarice est une mauvaise passion, une maladie de lame, presque une folie. Est-ce que pour nous qui pr≖chons l'épargne, la richesse est aussi un but? J'ai commencé par vous dire que la richesse n'est jamais qu'un moyen, un instrument de développement intellectuel et moral. Celui qui épargne entend faire usage du capital qu'il forme par ses économies; et il compte en faire un bon usage, puisqu'il sait que le but de la vie n'est pas d'≖tre riche ni de jouir de ses richesses, mais que le but est de nous perfectionner sans cesse. Il est donc absurde de nous faire le reproche d'enseigner l'avarice aux enfants. Il y a m≖me quelque chose d'odieux dans ce reproche; car c'est nous accuser de pr≖cher le vice, de pr≖cher une maladie de l'âme, de pr≖cher la folie.

Personne ne niera que l'économie soit une vertu. Elle ne consiste pas à ne faire aucune dépense, elle consiste à ne pas faire de dépense inutile. Il y a des dépenses nécessaires; nous devons dépenser pour vivre, et l'homme ne vit pas seulement de pain; son intelligence et son âme ont page 7 aussi des besoins qu'il faut satisfaire. Est-ce que la première nécessité d'un ≖tre doué d'intelligence n'est pas de s'instruire pour développer sa raison et pour éclairer sa conscience? Est-ce que le premier de nos devoirs n'est pas de faire le bien? Voilà des dépenses légitimes, parce qu'elles ont pour effet de nous faire atteindre le but de notre vie, qui est le perfectionnement intellectuel et moral.

L'épargne, mes amis, n'a pas d'autre objet. Quand les enfants disent que l'on épargne afin d'avoir une pomme pour la soif, ils ont raison; seulement il faut entendre le proverbe dans sa plus large acception. L'épargne accumulée jour par jour forme un capital; les capitaux sont ce que nous appelons richesse; ils sont donc un instrument de développement intellectuel et moral : voilà la légitimité de l'épargne. Je vais vous donner un exemple, mes amis, en le prenant dans votre sphère d'idées et de sentiments. Plusieurs d'entre vous ont déjà épargné dans nos écoles communales pour s'acheter un Dictionnaire, ou pour s'abonner aux Œuvres de Conscience. J'ai applaudi à cette économie, et je voudrais la voir généralisée dans nos écoles normales. Tous, vous avez besoin de livres, car les bons livres sont la nourriture de l'intelligence et de l'âme, ils développent la raison et ils vous inspirent de bons sentiments, qui sont le mobile des bonnes actions. A vous surtout, futurs instituteurs et institutrices, il faut une bibliothèque de livres choisis; car vous devez avoir beaucoup de connaissances pour bien remplir vos fonctions : c'est un mauvais maître que celui qui n'en sait pas cent fois plus qu'il n'en enseigne. Donc économisez pour vous former une petite bibliothèque. Ce sera encore une pomme pour la soif, mais pour la soif de la science. Il y en a peut-≖tre parmi vous qui sont absolument dépourvus de moyens; ils diront qu'ils ne peuvent pas économiser sans imposer une nouvelle charge à leurs parents. C'est la ré- page 8 ponse que j'ai reçue plus d'une fois quand je conseillais aux normalistes d'épargner. Je veux croire que l'excuse est sincère. Eh bien, ce sera une occasion pour ceux d'entre vous qui en ont les moyens, d'épargner pour leurs frères ou leurs sŒurs qui sont dans le besoin. Vous me comprenez. Vous prendrez sur vos économies, vous vous cotiserez, pour faire cadeau d'un Dictionnaire ou d'un bon livre à un compagnon d'études; quelle plus belle marque d'affection pouvez-vous donner à vos frères et sŒurs? La religion et la morale vous disent que vous devez aimer votre prochain, et aimer n'est-ce pas faire du bien à ceux que l'on aime?

Ce que je viens de vous dire, mes amis, répond à un autre reproche que l'on nous adresse. Il est impossible de nier que l'économie soit une vertu, mais on prétend qu'il ne faut pas la pr≖cher aux enfants, parce que c'est leur enseigner l'égoïsme et vicier leur nature généreuse. Que d'illusions et que d'erreurs il y a dans cette accusation! On croit que les enfants sont généreux, tandis qu'ils sont personnels, disons le mot, égoïstes. Voyez cet enfant : ses parents, quoique fort pauvres, lui donnent deux centimes le dimanche pour ses menus plaisirs; il court s'acheter une friandise quelconque : songe-t-il à en faire part à ses parents? songe-t-il à en faire part à ses camarades? Il se hâte de manger sa pomme, et ne pense pas m≖me que ses parents se sont refusé une pomme pour que lui en ait une. Ce que l'on appelle les menus plaisirs sont un apprentissage d'égoïsme. Dire à l'enfant qu'il doit épargner ces quelques centimes, ce n'est donc pas lui donner une leçon d'égoïsme, c'est au contraire lui apprendre à se priver d'une fantaisie; et s'imposer une privation, n'est-ce pas le commencement du sacrifice, de l'abnégation, du dévouement? Ceci n'est pas de la théorie. L'enfant ne tarde pas à savoir à quoi servent les économies qu'il fait en se privant d'une friandise désirée; page 9 il demande le remboursement de son livret, pourquoi? Le plus souvent pour subvenir aux dépenses de sa famille, parfois pour enterrer son père et pour donner du pain à sa mère veuve : sont-celà des leçons d'égoïsme?

Je vais vous raconter, à ce sujet, une histoire dont j'ai été témoin. En allant visiter une école, je vois à la porte une jeune fille qui sanglotait. C'était une élève de nos écoles d'adultes. Je lui demande la cause de son chagrin; elle me répond qu'elle vient de perdre son père mort subitement, et qu'elle va chercher son livret. Nous avions remarqué que, depuis quelque temps, elle épargnait des sommes assez considérables, et nous avions m≖me conçu quelques soupçons. Elle nous raconta qu'elle devait se marier; c'étaient les économies de son fiancé et les siennes qu'elle apportait le dimanche à l'école. Le petit capital qu'elle avait amassé devait servir à son établissement. Elle en demandait le remboursement pour payer l'enterrement de son père et pour donner du pain à sa mère, à son aïeule, à un frère idiot, à ses sŒurs plus jeunes qu'elle. Quel sa-crifice! Et elle ne songeait pas m≖me que c'en fût un! Elle ne pensait qu'à son père, elle ne parlait que de lui. Pour le moment, elle renonça à se marier parce qu'elle devait travailler pour sa famille. Voilà les fruits de l'épargne : est-ce une leçon d'égoïsme?