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La Nouvelle-Zélande

Chapitre VII L’éducation des femmes. — La mode. — Les domestiques

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Chapitre VII L’éducation des femmes. — La mode. — Les domestiques.

Au point de vue de la culture intellectuelle, ce que nous avons dit des hommes du pays s’applique assez bien aux Néo-Zélandaises. Il y a dans la colonie des femmes vraiment instruites, des savantes même, adonnées au professorat ou à des études spéciales, mais l’instruction secondaire générale, peut-être, n’est pas aussi développée qu’on pourrait s’y attendre dans un Etat où les écoles primaires ont un niveau d’études vraiment supérieur. On pourrait en multiplier les exemples. En voici un qui me paraît assez typique.

Me trouvant un jour à la campagne chez des amis, la conversation vint à tomber sur la philatélie, et la jeune fille de la maison se vanta de posséder un timbre du pape extrêmement curieux. Je ne suis pas compétent en ces matières; toutefois, je crus devoir faire remarquer à la jeune personne que la tiare pontificale et les clefs de Saint-Pierre n’avaient pas dû fournir des modèles bien variés. « Mais le mien a une effigie, répliqua-t-elle. — Alors, c’est différent, répondis-je. Montrez-nous cet objet rare. » Un moment après, Miss X… rentrait avec son album ouvert: « Mais, malheureuse, il a une barbe de sapeur, votre pape, on s’est moqué de vous: d’ailleurs, voyez ». Et je lui montrai Romania, écrit en lettres apparentes. « Eh! bien, ce ne sont donc point, dit-elle, les États du pape? » Elle avait pris la Roumanie pour un pays dont Rome serait la capitale et le roi Carol pour Pie IX. Comme j’essayais de lui faire comprendre que le timbre appartenant, au dire de l’ignorant ou facétieux donateur, à l’émission 1874, le millésime aurait dû page 108suffire à lui rappeler que le pape n’était plus souverain temporel à cette époque, elle parut stupéfaite. Elle ignorait absolument l’occupation de Rome par les Italiens, en 1870. Pourtant la demoiselle, qui comptait alors dix-huit printemps, appartient à une des premières familles et passe pour avoir reçu une éducation soignée.

Est-ce à dire que beaucoup de jeunes filles de la société commettraient d’aussi grossières erreurs! Certainement non, et, comme je le disais plus haut pour les hommes, gardons-nous de conclure du particulier au général. J’ai été frappé, cependant, de l’empreinte assez légère que les études classiques semblent avoir laissée sur ces jeunes imaginations. Cela vient sans doute de ce que, sitôt l’éducation terminée, on n’ouvre plus un livre sérieux. On a suivi des cours, c’est de bon ton, mais un peu comme une corvée, et l’on ne semble pas concevoir que, sans y être obligée, une femme puisse lire autre chose que des romans ou des magazines. Aussi, les conversations parfois s’en ressentent. Pour les deux sexes, ce qui sort du domaine pratique, paraît sans intérêt; je parle pour la moyenne, car il y a, bien entendu, d’honorables exceptions.

Un petit mot des toilettes maintenant. Celles de jour, très habillées ou robes de visite, se portent peu. Les robes du soir ne diffèrent pas sensiblement de ce que l’on voit partout sur le continent. Le matin, les dames sont presque toujours en blanc et en chapeau canotier, si c’est l’été; l’hiver, elles portent le costume tailleur. Les élégantes de Wellington ne semblent pas toutefois posséder à fond l’art des nuances ou le goût de l’ensemble. Cela n’empêche pas les femmes de toutes classes de raffoler de la toilette et les maisons de couture font de très bonnes affaires, malgré l’élévation des prix. Cette cherté provient des droits énormes de douane dont sont frappés, à l’entrée en Nouvelle-Zélande, tous les articles d’habillement. La preuve de l’importance attachée à la question chiffons, c’est que les journaux hebdomadaires consacrent la moitié de leurs colonnes à la description des toilettes. Tout illustré qui se respecte possède page 109
Black and white photograph of a military inspection, Wellington.

Une revue de volontaires au camp, près de Wellington

un ou deux reporters féminins faisant, chaque semaine, les Ladies Columns. Comme ce genre de composition ne brille point ordinairement par le mérite littéraire, et comme ces journaux ont une importante circulation, il faut bien en conclure que l’inventaire détaillé des élégances féminines est, en grande partie, la cause de leur succès.

Après les maîtres, les valets; paulo minora, canamus. Et que l’on ne soit pas surpris de voir presque tout un chapitre consacré à la domesticité. C’est, en effet, une question vitale en ce pays, où se faire servir à peu près convenablement devient chose si difficile que bien des gens y ont renoncé, le nombre des familles qui vivent à l’hôtel, comme en Amérique, ou en boarding house, augmentant tous les jours. L’entrefilet suivant du New Zealand Times, de Wellington, en date du 8 février 1901, démontre, plus éloquemment que tous les commentaires, la difficulté de trouver des domestiques. Je cite textuellement:

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« La crise des servantes, en cette ville, est toujours à l’état aigu. Que sera-ce lorsque vont arriver les troupes impériales1! Il est difficile de l’imaginer. En tout cas une jeune fille qui, l’autre jour, faisait publier une annonce par laquelle elle demandait une place, a reçu plus de cent lettres de personnes désireuses de devenir maîtresses de ce rara, avis, une fille qui désire vraiment entrer en service. »

En fait de domestiques nous parlons du beau sexe seulement, le serviteur mâle, nous l’avons dit, étant un objet à peu près inconnu. Le gouverneur en a quelques-uns, mais il les a amenés d’Europe, en leur assurant une prime élevée et le voyage de retour, s’ils restent à son service pendant la durée de son séjour en Nouvelle-Zélande.

Sans cette précaution, il y a belle lurette qu’ils auraient quitté le Gouvernement. Les clubs ont des hommes pour servir à table, on les paye très cher et ils affirment leur indépendance par le port de superbes moustaches. Certains se permettent la barbe. « Barba liberum virum facit atque probat », diraient-ils volontiers s’ils savaient le latin. Mais ils ne le savent point. A quoi bon d’ailleurs! ils n’ont pas besoin, pour se croire les égaux de leurs maîtres, de connaître la langue de Cicéron.

Revenons au beau sexe, puisqu’à lui seul sont dévolus les soins du ménage. Je ne crois pas exagérer si je dis, qu’aux antipodes, c’est une véritable plaie sociale.

Tout d’abord l’inconvénient le plus grave est l’instabilité. Beaucoup de gens changent de domestiques chaque semaine; on cite les maisons où les servantes restent six mois, et fort peu d’entre elles accomplissent une année entière. Deux ans dans la même place, en cette colonie, paraît aussi digne d’admiration que les vieux serviteurs à cheveux blancs de Scribe ou du bon Berquin, nés dans la maison de leurs maîtres et voulant y finir leurs jours. Il semble que les domestiques néo-zélandaises aient peur de s’attacher et se hâtent de quitter, par page 111crainte de céder à ce sentiment de fidélité, considéré, en tous pays, également à l’honneur de la personne qui sert et de celui qui se fait servir. Constamment la même scène se reproduit: la cuisinière ou la femme de chambre vient trouver la maîtresse de maison et lui annonce qu’elle part le jour même.

« Mais pourquoi, dit celle-ci, ne vous trouvez-vous pas bien chez moi? Avez-vous à vous plaindre de quelque chose? dites-le et je ferai mon possible pour vous donner satisfaction, car je suis contente de vos services et tiens à vous garder. — Madame est bien bonne, je n’ai à me plaindre de rien, mais je ne puis rester, je veux changer (I want to have a change). » C’est la seule réponse que l’on obtient neuf fois sur dix.

Rien à faire par conséquent. Eu théorie elles doivent une semaine, mais allez donc les garder de force ou leur intenter un procès. On ne peigne pas un diable qui n’a point de cheveux; puis, en citant une de ces personnes devant le juge de paix, on s’exposerait à une demande reconventionnelle de celle-ci, pour renvoi illégal. L’affaire serait portée alors devant le jury commun, et l’on serait à peu près sûr de son affaire: la domestique, crue sur parole, obtiendrait de forts dommages-intérêts, car le siège de ces juges improvisés, en pareil cas, est toujours fait d’avance. Tout ce que vous pourries dire, vous patron, n’aurait aucune influence sur leur décision. Il n’y a donc qu’à accepter l’inévitable.

Quand la house maid ou la parlour maid vous quitte à l’improviste, vous pouvez encore vous retourner, mais c’est bien plus grave lorsque la cuisinière plante là brusquement ses fourneaux, le jour où vous avez du monde à dîner. Le cas, paraît-il, est loin d’être sans exemple.

A voir la façon dont les domestiques quittent leurs maîtres, on pourrait croire qu’elles sont insuffisamment payées, ou qu’on les maltraite. Il en est tout autrement.

Dans un précédent chapitre, à propos d’une députatlon de servantes au premier ministre, nous avons établi qu’elles gagnent en moyenne 4 francs par jour, outre la nourriture et page 112le logement, cela va sans dire; qu’elles prennent six journées de congé par mois, sans compter des vacances à Noël et à Pâques; voilà qui répond victorieusement au premier point. Quant au second, il suffira de dire, pour rassurer les âmes pitoyables, que, dans beaucoup de maisons, ces demoiselles ont leur parloir à elles et leur salle de bain, et que même certains maîtres poussent la condescendance jusqu’à mettre à leur disposition, à jours fixes, le piano du salon. Cette particularité, des bonnes touchant du clavecin, a été rapportée plusieurs fois, et nombre de nos compatriotes n’ont voulu voir là qu’une boutade de voyageurs à la recherche du fait sensationnel. « A beau mentir qui vient de loin », dit le proverbe. Qu’on me permette donc une anecdote concluante.

Un Français, habitant Wellington, que je connais particulièrement, dînait un soir dans une famille. Le café pris, la maîtresse de maison engagea son mari à chanter. « Très volontiers, répondit-il, je vais chercher Jane pour m’accompagner. » Notre compatriote, qui ne connaissait pas Jane, bien entendu, ne fut pas médiocrement surpris en voyant s’asseoir au piano la personne qui venait de servir le dîner. Elle accompagna, non sans talent, du reste, le chanteur, puis, gracieusement invitée par la maîtresse de maison à « nous jouer quelque chose », elle fit entendre deux ou trois morceaux, très passablement exécutés. La jeune fille ne chantait point, c’est dommage.

Ne trouvez-vous pas qu’un duo eût été de circonstance? Cela doit être une sensation peu banale que de chanter à sa femme de chambre: « Laisse-moi contempler ton visage » ou de ténoriser à sa cuisinière: « Viens dans une autre patrie. »

Une pareille suppression des distances n’est pas faite, cela sc conçoit, pour inculquer d’excellentes manières à des gens auxquels la nature en a imparti de fort médiocres. La plupart des domestiques, en Nouvelle-Zélande, parlent à leurs maîtres avec un sans-gêne, un laisser-aller dont on ne peut se faire idée. « Oui, non, si vous voulez »; jamais « Monsieur ou page 113Madame » Dans Les premiers temps, on se sent tout gêné pour ses hôtes quand il leur arrive de donner un ordre en votre présence. Je me souviens toujours de notre étonnement, à l’une des premières visites que nous rendions, la semaine de notre arrivée. Je sonne: une femme de chambre, à l’air renfrogné, vient ouvrir, et le dialogue s’engage: « Qu’est-ce que vous voulez? — Madame X… estelle chez elle? — Non. — Ah! eh bien, veuillez lui remettre ces cartes. — Oui, je veux bien » Et vlan, elle nous ferme la porte au nez. Ahuris d’abord, nous ne tardons pas à éclater de rire, et quand, le lendemain, nous racontons notre aventure,
Black and white photograph of a yachting regatta, Auckland harbour, c.1904.

Les régates a Auckland.

page 114personne ne songe à s’en étonner. Ce manque d’égards envers les maîtres est compensé par une exquise politesse des servantes entre elles et avec les gens de leur condition.

Une fille de service est toujours Miss X…; le garçon boucher, Mister un tel, et si elles parlent du jardinier de M. Brown, elles le désigneront ainsi: Monsieur Smith, jardinier chez Brown.

C’est un fait bien connu, d’ailleurs, que lorsqu’un individu arrive d’Europe pour être ouvrier, domestique, employé, la première leçon qu’il apprend en débarquant est la suivante: « Tu sais, tu es dans un pays démocratique et si tu rencontres ton maître ou ton patron dans la rue, garde-toi bien de le saluer le premier; s’il te dit bonjour, tu peux lui répondre, mais ce n’est pas indispensable; tu prouveras ainsi que tu es un homme libre. » De fait, j’ai vu maintes fois les patrons saluer les premiers leurs employés; ils obtenaient, généralement en retour, un petit bonjour protecteur.

Un de nos compatriotes, qui occupe un assez grand nombre d’ouvriers dans une exploitation agricole, m’a raconté l’historiette suivante:

Un jour de Noël, il rencontre dans la rue le cuisinier d’une de ses stations. Ce personnage prenait ses vacances annuelles, tout comme un chef de division et, ayant de l’argent, s’était installé dans le meilleur hôtel de la ville. Il s’avance vers son maître et il lui tape familièrement sur l’épaule: « Hallo, un tel…, how do you do, old man? (Comment ça va, mon vieux?) Come and have a good dinner with me. (Venez faire un bon dîner avec moi.) »

Sur le vieux Continent, peu de maîtres, sans doute, eussent résisté à la tentation de lui envoyer leur pied quelque part. Notre ami se contenta, en riant, de décliner l’aimable proposition, invoquant une invitation antérieure. Le cuisinier, n’y voyant pas malice, tant la chose lui paraissait naturelle, répondit: « Tant pis, alors ce sera pour une autre fois. »

Pour en revenir aux ladies help, des personnes aussi distinguées doivent, cela va de soi, être mises dans la rue comme page 115leurs maîtresses, sinon mieux. Elles s’habillent chez la bonne faiseuse, et une dame qui reproche à sa couturière un retard dans la livraison d’une robe, s’entend dire souvent: « Je regrette, mais j’étais très occupée, cette semaine, ayant eu à terminer une toilette pour Miss X…, dans votre maison. » Miss X… c’est la femme de chambre ou la cuisinière. Il est non moins naturel que leurs mains délicates ne s’emploient pas aux gros ouvrages. Faire les souliers surtout est pour ces demoiselles l’objet d’une insurmontable aversion.

Pensez donc, enduire de cirage les doigts effilés qui, quelques heures plus tard, feront vibrer les cordes d’un Pleyel. Les personnes riches ont généralement un homme de peine pour cette besogne vulgaire. Dans les petits ménages, le soin de faire reluire les chaussures est dévolu au fils de la maison.

Le jardinier chargé de ce travail, dans une habitation voisine de la nôtre, ayant été pris, une nuit, d’une violente attaque d’influenza, le lendemain, à neuf heures du matin, tous les souliers de la maison étaient encore couverts de la crotte de la veille. La dame ayant prié une des filles de service de les nettoyer, s’attira cette réponse pleine de hauteur: « Pour qui me prenez-vous? » La cuisinière se montra tout aussi intraitable. Que faire? Le gendre se dévoua, et, prenant une brosse et du cirage, s’escrima bravement sur la collection d’escarpins. Et encore, je ne jurerais pas qu’il n’ait point poussé la bonté — bien qu’il ne l’ait pas avoué — jusqu’à faire aussi les souliers des bonnes.

Cela s’appelle le monde renversé ou je ne m’y connais pas; il est vrai que nous sommes aux antipodes.…

1 Allusion au prestige qu’exerce Tommy Atkins, le Dumanet anglais, sur l’esprit des bonnes.