La Nouvelle-Zélande
Chapitre XII La Nouvelle-Zélande et la fédération australienne. — Conclusion
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Chapitre XII La Nouvelle-Zélande et la fédération australienne. — Conclusion.
Nous n’avons jamais eu la prétention, nous l’expliquions au début, de publier un ouvrage politique ou d’économie sociale; toutefois il nous paraît impossible de clore ce livre sur la Nouvelle-Zélande sans dire un mot de la question d’actualité qui prime toutes les autres: la colonie restcra-t-ellc ce qu’elle est ou bien va-t-elle entrer dans la Fédération australienne? Jusqu’à présent, la seconde de ces deux hypothèses parait la moins vraisemblable. Il y a, comme de juste, des fédéralistes et des antifédéralistes. Ces derniers sont les plus nombreux, et le souci de l’exactitude nous oblige à le dire, la manière de voir des uns et des autres semble autant fondée sur les avantages qui pourraient en résulter, pour leurs intérêts matériels particuliers, que par le souci des véritables aspirations de la patrie. Plaçons donc sous les yeux du lecteur les principaux arguments pour ou contre, soumettons-lui les résultats, connus à ce jour1, de l’enquête longue et minutieuse à laquelle s’est livrée la commission royale nommée à cet effet.
C’est le meilleur moyen pour lui permettre de se faire une opinion, en attendant le referendum populaire qui tranchera la question dans un sens ou dans l’autre.
1 Juin 1901.
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Vient maintenant la question commerciale. Si, en demeurant à l’écart, la Nouvelle-Zélande se fermait, de façon irrémédiable, le marché australien, elle devrait, cela n’est pas douteux, y regarder à deux fois avant de repousser les avances qui lui sont faites; mais, d’après la majorité des témoins pris dans les classes et professions les plus diverses, dont les dépositions figurent au dossier de la eommission d’enquête, pareille éventualite ne paraît point à craindre. Il serait trop long, fastidieux même, de reproduire ces témoignages. Cependant l’opinion dominante des Néo-Zélandais interrogés peut se résumer ainsi: tout d’abord, le commerce entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, si important qu’il soit, est presque insignifiant comparé à celui de chacun des deux pays avee la Grande-Bretagne, et l’on ne prévoit pas de changement appréciable dans cette situation avant de longues années. Si, même, la Fédération devait développer sensiblement le trafie entre les deux colonies, ce qui d’ailleurs n’est rien moins que démontré, cette augmentation n’atteindrait jamais les sept ou huit millions représentant la quote-part éventuelle du Maoriland dans les dépenses du budget fédéral. Puis les exportations de celle-ei, en Australie, consistent en première ligne, en céréales, en avoine surtout. Ce page 198continent presque tropical devra toujours importer, de Nouvelle-Zélande, des grains, de l’avoine au moins, n’en produisant pas lui-même; il serait, par conséquent, contraire à son propre intérêt de les taxer trop haut. Pour les produits agricoles exportés à la fois par l’une et l’autre sur le marché de Londres, il n’y a pas sujet de craindre que la concurrence de l’Australie ne fasse baisser le cours des marchandises néo-zélandaises, dont la qualité est supérieure et qui payent un fret égal. Quant à celles en provenance des colonies fédérées, importées par la patrie des Maoris, rien ne prouve qu’elles lui soient assez indispensables pour modifier à leur égard son régime douanier, sous peine de se voir fermer, par représailles, les marchés de Melbourne et de Sydney. La guerre de tarifs, du reste, est plutôt un épouvantail, dont font usage les fédéralistes pour les besoins de leur cause, qu’une éventualité à envisager sérieusement. Cette guerre ferait, c’est incontestable, du tort aux deux pays; mais ni l’un ni l’autre ne pouvant en retirer des avantages susceptibles de compenser le dommage à prévoir, aucun des deux ne se souciera de commencer. Alors, à quoi bon se fâcher!
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En effet, — et c’est là une des plus graves objections, — ce qu’on appelle une Australie entièrement blanche est impossible. Dans la partie tropicale, — la plus vaste en somme, — de cet énorme continent, le black labour ou travail des noirs recrutés dans les îles du Pacifique est indispensable. Si on le supprime, c’est pour le Queensland, dont la production sucrière forme la principale source de richesses, la crise sinon la banqueroute. Mais les les sur l’immigration devant, aux termes de la Constitution fédérale, s’appliquer à tous les Etats du Commonwealth, ceci signifierait l’ouverture aux Canaques de la Nouvelle-Zélande. Or ce pays, actuellement, repousse jusqu’à certains Européens parce qu’ils travaillent à trop bon marché. L’admission des noirs serait le signal d’une véritable levée de boucliers par les Trade Unions, dont l’influence est si grande, qu’aucun Cabinet, à Wellington, s’il cherchait à gouverner contre elles, ne serait assuré du lendemain.
Les Néo-Zélandais, à supposer qu’ils y fussent entrés déjà, sortiraient de la Fédération plutôt que de tolérer l’admission des Canaques; ou, s’ils devaient faire partie de l’Union contre leur gré, quelque temps encore, cela serait, jusqu’à la nouvelle séparation inévitable, une série presque ininterrompue de difficultés.
Est-ce à dire que la Fédération est impossible? Nous ne le page 203pensons pas; nous estimons toutefois qu’il est au moins prématuré d’y croire. Peut-être, dans l’avenir, quand les choses se seront tassées, pourra-t-on en reparler utilement; mais, d’ici là, ou nous nous trompons fort, ou la Nouvelle-Zélande aura beaucoup grandi, et les conditions dans lesquelles elle se présenterait alors pour entrer dans l’Union seraient différentes. Pour qui connaît les affaires du Pacifique et les velléités annexionnistes de M. Seddon, dont celuici du reste, ne fait nullement mystère, si le premier, avant tous ses collègues d’Australasie, il a décidé l’envoi d’un contingent aux frais du budget local dans l’Afrique du Sud, ce n’était pas sans motifs peut-être. A cette époque où l’on estimait généralement que la campagne serait une simple marche militaire sur Pretoria, le transport à grand fracas, des antipodes au cap de Bonne-Espérance, de 200 Néo-Zélandais excita la verve des caricaturistes. Peu importait cependant à King Dick de fournir des sujets aux dessinateurs des journaux satiriques, il avait son idée.
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Le dernier souvèrain indigene en oceanie. Georges II Tubou, roi des iles Tonga.
Les événements, d’ailleurs, ont dépassé ses prévisions, car ce n’est plus un, mais neuf contingents néo-zélandais que l’Angleterre, revenue de l’optimisme du début, fut heureuse d’accepter. Aussi, était-il sûr de n’être pas désavoué, lorsqu’un an plus tard, par un de ces coups de théâtre qui lui sont familiers, il annonça dans une réunion publique que son Gouvernement — page 204allait annexer Rarotonga, Fidji et Tonga. C’eût été toutefois aller un peu vite en besogne, et quelles que soient les intentions du Cabinet de Londres pour l’avenir des deux derniers groupes au sujet desquels circulent les bruits les plus contradictoires, jusqu’à présent les îles de Cook seules ont été définitivement incorporées. Comme, depuis dix ans, elles étaient protectorat britannique, administré par un résident anglais relevant du gouverneur de la Nouvelle-Zélande, cela ne faisait pas grande différence dans la pratique.
Le morceau toutefois paraissant un peu maigre, lord Ranfurly dans sa tournée à Rarotonga, annexa, afin d’allonger le menu, une dizaine de ces poussières d’îles semées dans le Pacifique entre les grands archipels. Pour Tonga, on se contenta de proclamer le protectorat de l’Angleterre; jusqu’à nouvel ordre on laisse les choses en l’état. Il en va de même pour Fidji, colonie de la Couronne, que, malgré la répugnance de certains colons de cet archipel, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande incorporeront, quelque jour. Cette dernière, nous le pensons, deviendra tôt ou tard le centre de la Fédération polyn ésienne, qu’elle rêve: elle pourra dire alors à l’Australie: « Maintenant, ma grande sœur, si je suis beaucoup plus petite que vous, me voilà devenue néanmoins de dimensions respectables. Vous voulez toujours de moi dans votre confédération, paraît-il. Très bien. Voyons vos conditions actuelles.»
Elles seront, tout porte à le croire, plus avantageuses encore à ce moment qu’aujourd’hui. Alors pourquoi la Nouvelle-Zélande se presserait-elle? Il semble qu’elle ait, au contraire, tout intérêt à voir venir1.
1 Au mois d’août 1902, le Parlement néo-zélandais a repoussé, à une énorme majorité, un projet de fédération avec l’Australie.
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Quant à prétendre que nous ne sommes pas colonisateurs, toute notre histoire et de très récents exemples donnent un démenti éclatant à cette théorie pessimiste. Le puissant domaine d’outre-mer qu’ont exploré nos voyageurs, que nous a conquis la vaillance de nos soldats, que mettent en valeur, à page 207l’heure actuelle, nos ingénieurs, nos industriels et nos commerçants, forme pour nous un merveilleux champ d’expériences, sans oublier la part prépondérante que, dans les principales entreprises de tous les pays ouverts aujourd’hui au zèle industrieux des Européens, les chefs vigilants de notre diplomatie tiennent à conserver ou à assurer à nos nationaux.
Un économiste moderne a dit: « A notre époque, les grandes puissances qui veulent rester vraiment dignes de ce nom doivent, de toute nécessité, devenir, si elles ne le sont déjà, largement exportatrices et colonisantes. » Si cette maxime est vraie, notre activité sur tous les points du globe permet heureu sement d’affirmer que, sous ce rapport comme sous tous les autres, quand il s’agit de marcher dans la voie de la civilisation ct du progrès, la France est et saura demeurer au premier rang.
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