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The Pamphlet Collection of Sir Robert Stout: Volume 57

La Nouvelle Zélande — Au Point de vue Économique

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La Nouvelle Zélande

Au Point de vue Économique

Messieurs,

L'imprévu joue un grand rôle dans la vie.

Si l'on m'avait dit, il y a six mois, que je ferais bientôt mon tour de Belgique pour propager, par la parole, mon étude sur la Nouvelle Zélande, je n'aurais pas ajouté foi à cette prédiction.

Voici comment la chose advint:

L'honorable Président de notre Société royale de Géographie, M. le colonel Wauwermans, après m'avoir fait l'insigne honneur de publier mon travail sous les auspices de la Société, me pria d'y donner une conférence sur le même sujet.—L'entreprise me paraissait périlleuse.—M. Wauwermans insista.—M'inspirant alors de la maxime de Danton: de l'audace et toujours de l'audace, j'affrontai le péril pour la première fois, le 17 Octobre page 4 dernier, devant le public intime de la Société royale de géographie.

Ma conférence de ce soir est la douzième. Ne me jugez pas comme conférencier; ne voyez en moi qu'un homme de bonne volonté à la recherche du vrai, et en quête d'alliés.

Dans ces dernières années, frappé des transformations économiques et sociales de notre époque rénovatrice, j'ai consacré mes moments de loisir à l'étude des questions commerciales et industrielles qui captivaient mon attention.

A ce même point de vue, j'ai à vous parler aujourd'hui de la Nouvelle Zélande.

En économie politique, comme en toutes choses, tout a des points de contact plus au moins resserrés et il est souvent difficile de préciser où commence et où finit la liaison des rapports.

Tel trouvera dans une information un fond précieux d'enseignement où d'autres n'apercevront que le néant.—C'est pourquoi, Messieurs, tout en n'accordant qu'une place restreinte à la partie descriptive de mon exposé, je ne puis me dispenser de vous dépeindre brièvement le pays, les mœurs et les coutumes des habitants.

J'en demande pardon à ceux d'entre vous qui m ont entendu ailleurs ou qui ont lu mon livre.

Précédemment, dans un travail sur l'ensemble des colonies australiennes, j'ai esquissé les ressources de la Nouvelle Zélande, mais son grand éloignement, aussi bien que la difficulté d'accès, me la faisait considérer comme en dehors de notre portée.—Le percement du Panama y ramena mon attention.

Beaucoup d'entre vous le savent, j'ai fait un stage de plusieurs années dans une des plus grandes maisons de commerce de Londres, et j'ai conservé ea Angleterre de bons et influents amis.—Par eux, j'ai réussi à me mettre en rapport avec des fondateurs de la colonie néo zélandaise, aujourd'hui rentrés dans leur patrie.—Ces derniers m'ont introduit dans les bureaux du ministère colonial et de cette façon, sans avoir été en Nouvelle page 5 Zélande, il m'a été donné de rassembler de précieux documents sommairement condensés dans mon livre.

Je m'étais fait la réflexion suivante:

La Nouvelle Zélande est à nos antipodes; elle est isolée au milieu du Pacifique,—à 2000 kilomètres de toute terre habitée. Cet isolement, cette distance sont évidemment préjudiciables à son développement; et cependant, elle a progressé dans des proportions inconnues ailleurs!

Si, en dépit d'une foule de circonstances défavorables,—en une vingtaine d'années, car ses progrès sérieux ne datent que de 1861,—tel a été le cas, me suis-je dit, à quels soubresauts de progrès ne doit-on pas s'attendre lorsque le percement du Panama raccourcira la distance de plus de 6000 kilomètres, et diminuera d'un tiers la durée du voyage actuel ordinaire par le cap de Bonne Espérance!

Aujourd'hui, pour se rendre en Nouvelle Zélande, il faut intentionnellement dépasser l'Australie et refaire, en sens inverse, la même route pour le retour.—C'est un voyage de 4000 kilomètres, correspondant à neuf jours de navigation par steamer filant régulièrement 10 noeuds à l'heure.

Par l'isthme américain, au contraire, cinq jours avant d'accoster l'Australie, la Nouvelle Zélande sera l'escale des navires en destination du continent australien.

Certes, en me livrant à mes dernières investigations sur la Nouvelle Zélande, je ne m'attendais pas à rencontrer un concours aussi homogène d'éléments favorables à sa prospérité.—Vainement, j'ai cherché une contradiction capable de refroidir le charme éprouvé par cette étude laborieuse, mais entraînante en raison des merveilles de tout genre que je trouvais à relater.

Tous les livres consultés par moi, toutes les personnes ayant séjourné en Nouvelle Zélande que j'ai eu l'occasion de voir, sont unanimes à exalter les beautés et les richesses de ce magnifique pays.

C'est une terre d'abondance dont les ressources naturelles ne page 6 réclament que l'appoint de capitaux plus importants, la présence d'un plus grand nombre de bras robustes et d'esprits bien équilibrés, pour livrer ses immenses trésors au monde avide d'éléments nouveaux de bien-être.

Or, le percement du Panama va donner à ces îles une topographie privilégiée entre toutes—et lorsque, dans 4 ou 5 ans, la deuxième grande œuvre de M. de Lesseps sera terminée, la Nouvelle Zélande justifiera, sans conteste, son appellation d'Angleterre du Sud que ses heureux habitants se plaisent déjà à lui donner.

A n'en pas douter, elle deviendra rapidement l'entrepôt général et la factorerie de l'hémisphère austral.—L'accroissement déjà si rapide de sa population prendra une extension infiniment plus grande que par le passé, et le flot d'immigrants qu'elle attirera, constituera une agglomération humaine trop considérable pour négliger de songer, dès à présent, à poser les jalons capables de nous y assurer d'importants et nouveaux débouchés.

C'est le cas de méditer la morale de la fable:

Rien ne sert de courir, il faut partir à temps.

Car le percement du Panama ne manquera pas de provoquer à courte échéance, en Nouvelle Zélande, les efforts des différents peuples du globe.—Tous y revendiqueront leur place.

Peut-être,—l'heure étant venue,—mon livre a-t-il eu le don d'attirer particulièrement l'attention de nos voisins sur cette contrée!—Toujours est-il que ma publication semble leur avoir donné l'éveil.

La Berliner Börzen Zeitung (le Journal de la Bourse de Berlin), dans son supplément à son numéro du 1er Décembre dernier, rend compte d'une conférence sur la Nouvelle Zélande donnée, par le Dr Stieler, au cercle de géographie commerciale de la capitale allemande.—J'y retrouve la plupart de mes données.

En Hollande, le Tijdschrift voor neder landsche Indië. le plus autorisé des journaux économiques du pays, fait une analyse complète de mon travail et reproduit ce compte-rendu, sous forme d'opuscule, dans le but manifeste de propagande.

page 7

Et ce qui est plus significatif encore, en France, où l'attention publique est fortement portée vers les œuvres coloniales, le Journal des Économistes,* d'une part et, de l'autre, l'Economiste français,* l'influent journal de M. Leroy Beaulieu, consacrent tous les deux à mon ouvrage quatre colonnes in-quarto.

Mon amour-propre peut trouver satisfaction à tout cela, mais mon patriotisme en serait alarmé si, moins prompts que d'autres, nous ne nous avisions d'agir qu'à leur remorque; j'en éprouve une certaine crainte, car déjà le gouvernement français a chargé le Baron Michel d'un voyage d'étude en Australie et spécialement en Nouvelle Zélande.

Je vais donc m'efforcer de vous démontrer la nécessité, pour nous, de prendre énergiquement les devants:

La Nouvelle Zélande fait partie des trois terres désignées par les Anglais sous le nom collectif d'Australasie, c'est à dire:

1° L'Australie, divisée en cinq colonies distinctes, savoir:

La Nouvelle Galles du Sud, la colonie de Victoria, L'Australie Méridionale, l'Australie Occidentale et le Queensland.

Ensemble, ces cinq colonies ont une population de 2,200,000 habitants.

2° La Tasmanie, population 120,000 âmes.

3° La Nouvelle Zélande, population 550,000 habitants, indigènes compris.

Total de la population Australienne 2,900,000 âmes.

La Nouvelle Zélande est formée de plusieurs îles dont les deux principales portent les noms de: Ile du Nord et Ile du Sud,—plus, au midi, la petite île Stewart.

Tout autour, un grand nombre de petits îlots, et, enfin, les îles Chatham, à 600 kilomètres à l'Est et les îles Auckland, au Sud.

Les deux grandes îles du Sud et du Nord sont seules exploitées jusqu'ici.—Il ne sera donc pas question des autres, habitées seulement par quelques centaines de baleiniers.

* Numéro de Janvier 1881.

* *Numéro du 17 Novembre 1883.

page 8

Naguère divisée en provinces fédérées, la Nouvelle Zélande est aujourd'hui réunie sous un seul gouvernement central ayant son siège à Wellington, au midi de l'Ile du Nord, dans le détroit de Cook.

Les deux îles comprennent neuf districts provinciaux dont 4 dans le Nord et 5 dans le Sud.

Leur étendue est un peu moindre que celle des îles britanniques et forme environ neuf fois le territoire de la Belgique.

La Nouvelle Zélande fut révélée au monde civilisé par le capitaine Abel Tasman, célèbre navigateur hollandais qui la découvrit en 1642.

Cent vingt cinq ans plus tard, l'intrépide capitaine Cook fut le premier à l'explorer et à en déterminer la configuration; et ce n'est qu'en 1840 que le commandant Hobson, au nom du gouvernement britannique, prit officiellement possession de la Nouvelle Zélande, soumise depuis lors au libre régime colonial de l'Angleterre.

Des conflits sérieux éclatèrent d'abord entre les Anglais et les indigènes au sujet de la propriété territoriale;—des soulèvements continuèrent à se produire pendant les 25 premières années de l'occupation; mais, depuis le traité de 1865, garantissant les droits acquis à chacune des deux races, la paix publique n'a plus été troublée et ne saurait plus l'être.

Robustes, supérieurement bien bâtis, beaux de visage et d'expression, fort intelligents, les Maoris, décimés par la lutte contre les Anglais, ne comptent plus que 44,000 individus et, réduits à la plus complète impuissance au milieu des Européens, déjà 12 fois plus nombreux qu'eux, ils vivent actuellement en bonne intelligence avec les colons.—Ils ont adopté en grande partie les mœurs de leurs envahisseurs;—ils sont vêtus à l'européenne, ils ont leurs écoles, leurs députés aux chambres et même des journaux de leur idiome.

Contrairement aux républiques de l'Amérique du Sud, la Nouvelle Zélande, à l'abri de toute invasion étrangère, offre page 9 donc une sécurité politique absolue, et c'est là, assurément, une considération majeure.

L'aspect et la climatologie de la Nouvelle Zélande sont surtout remarquables:

Monts gigantesques, mers de glace et glaciers, cascades et cataractes, geysers, vallées, plaines, collines et vallons, lacs, rivières, havres et baies, d'immenses forêts s'élevant jusqu'à la limite des neiges éternelles, etc., etc., procurent à la Nouvelle Zélande une variété de paysage sans égale et permettent de la comparer tour à tour, sous ses divers aspects, grandioses ou souriants, à la Suisse, à l'Italie, à la Norwège, à l'Ecosse, au Pays de Galles et à la Normandie.

Les latitudes de la Nouvelle Zélande correspondent à celles de l'hémisphère boréal comprises entre Vienne et l'île de Chypre.

«En dépit de la différence de latitude avec celle de l'Angleterre, dit, en substance, M. Alexander Kennedy, le climat de la Nouvelle Zélande est tout à fait tempéré; ni chaleurs excessives en été, ni froids rigoureux en hiver, et l'on peut dire qu'il n'y a pas de jours dans l'année, ni d'heures dans la journée où, sous le rapport de la température, on se sente incommodé en plein air. Au plus fort de la belle saison, la brise océanique ramène toujours la fraîcheur.

Au Nord de l'île septentrionale, le myrte et le geranium fleurissent toute l'année à ciel ouvert; rarement la temperature descend au dessous de celles de nos journées d'Avril. L'alternative des saisons n'y est pour ainsi dire sensible que par la durée plus ou moins longue des jours et des nuits et par les rafales violentes du vent qui, en hiver, souffle plus fréquemment en tempête sur les hauteurs et parfois dans les plaines.

Dans l'Ile du Sud, il arrive que les collines les plus élevées et même les vallées soient, pour quelques heures, couvertes de neige, mais celle-ci ne demeure en permanence que sur les monts et les glaciers.

En Nouvelle Zélande, il tombe au moins autant d'eau page 10 qu'en Angleterre et pourtant le ciel est loin d'y être aussi brumeux et aussi nuageux. En Australie, il y a de longues périodes de sécheresse et d'humidité. En Nouvelle Zélande, ce sont des successions constantes de soleil et de pluie, maintenant à la terre sa fraîcheur, aux rivières et aux ruisseaux leur courant, à l'atmosphère sa pureté et sa légèreté, aux prairies leur perpétuelle verdure, aux versants des montagnes et aux vallées une luxuriante végétation.

Sous le double rapport physique et intellectuel, les aborigènes néo zélandais ne sont inférieurs à aucune race humaine. Beaucoup d'entre eux atteignent un âge très avancé. L'excellence du climat est évidemment la cause de leur vigueur.

Tous les auteurs, indistinctement, sont d'accord avec M. A. Kennedy en ce qui concerne l'excellence du climat de la Nouvelle Zélande et de sa salubrité. Leurs affirmations sont, du reste, confirmées en tous points par les statistiques officielles et, dit Sir Dillon Bell, la Nouvelle Zélande possède une propriété d'accroissement naturel incomparable sur notre planète.

L'excédant des naissances sur les décès y est de 3o pour mille contre 22 en Australie, 18 aux Etats Unis, 13 en Allemagne et en Angleterre, 10 en Belgique, 7 en Italie et 2 en France.»

Donc, comparativement à la Belgique, les décès s'y produisent dans la proportion de 1 contre 3 et l'augmentation de la population de la Nouvelle Zélande dépasse de 66 % celle des États Unis.

Dillon Bell ajoute:

«Nous n'avons pas en Australasie l'inconvénient des classes sociales tranchées, arrêtant ailleurs l'élan de l'immigration. Heureusement pour nous, nous sommes préservés des maux qui arrêtent en Europe le développement matériel et intellectuel de bien des nations; nous n'avons pas à supporter le poids du paupérisme et l'excellence de notre état sanitaire procure à nos populations une vie moyenne plus longue et une vitalité plus robuste que partout ailleurs.

En Angleterre, les adultes de 20 à 60 ans supportent en page 11 moyenne, pendant cette période de 40 années, onze jours de maladie par an; la proportion tombe à 7 jours en Australie et à 5 seulement en Nouvelle Zélande.

Le paupérisme ravit à la nation anglaise 3 % de sa puissance productive et la maladie 4 %—en tout 7 %.—En Australasie, la proportion est de 2 ½ % seulement. C'est le chiffre le plus bas constaté.»

La Faune de la Nouvelle Zélande se distingue par l'excessive rareté de mammifères indigènes. Les chevaux, bœufs, moutons chèvres et porcs qu'on y trouve ont tous été importés. Sous l'influence de l'excellent climat du pays, ils s'y multiplient et se développent à merveille.—De plus, les habitants n'ont à se garer d'aucune espèce animale dangereuse ou malfaisante.

Mais, si la faune néo zélandaise est pauvre, sa Flore, par contre, est une des plus riches de l'univers et sans contredit la plus variée qui soit. On lit à ce propos dans le grand Dictionnaire de Larousse:

«Le climat de la Nouvelle Zélande est salubre et propre à la longévité. Il convient à la culture de toutes les productions de l'Europe. Sur plusieurs points, sa végétation dans laquelle on distingue des fougères arborescentes, des dracœnas qui s'élèvent comme des palmiers, ressemble, par son abondance et sa vigueur, à celle des tropiques. Le sol défriché est très fertile et produit toute espèce de graines et de fruits. Le lin a de larges feuilles qui fournissent une filasse aussi fine que de la soie et propre à la fabrication des étoffes. Le myrte croît sur les collines voisines de la mer, etc.»

On compte, en effet, en Nouvelle Zélande, une grande variété et une profusion sans fin de fougères représentées par environ 130 espèces différentes, dont un tiers ne subsistent pas ailleurs.

Les essences forestières indigènes s'y trouvent au nombre de 120. La plupart appartenant à la classe des conifères conservent aux forêts une verdure perpétuelle. Les cèdres atteignent des page 12 proportions énormes, mesurant de 25 à 55 mètres en hauteur et de 3 à 7 mètres de diamètre.

Le Kaurigum (Dammatia Australis) donne en quantité une gomme estimée. Les hêtres, aussi, offrent de nombreuses variétés et possèdent des qualités incomparables pour la construction des navires; en un mot, les inépuisables forêts de la Nouvelle Zélande procurent des bois excellents et propres à tous les usages: menuiserie, charpenterie, teinture et tannerie.

Le caractère général des arbres de la Nouvelle Zélande est celui des forêts de la Tasmanie et du continent australien; ils sont plus compacts et plus lourds que ceux de l'Europe et de l'Amérique.

Les arbres de toute nature importés du dehors s'y acclimatent sans peine, atteignant souvent un développement supérieur à celui que l'on observe dans le pays de leur origine.

L'Auckland, partie septentrionale de la Nouvelle Zélande, possède les meilleurs et les plus beaux arbres de la Colonie qui en tire une notable partie des bois utilisés pour l'ébénisterie et pour la charpente des navires. Le fameux et gigantesque kauri pine est particulier à l'Auckland et ne descend guère au dessous de la latitude de la capitale de la province. C'est le kauri pine qui fournit les beaux mâts des vaisseaux de guerre anglais. Il y a une dizaine d'années, l'un de ces arbres, abattu à 30 kilomètres au nord de la ville d'Auckland, s'est vendu à fr. 12.500 (£ 500). Jusqu'à la naissance des branches, son tronc mesurait douze mètres de hauteur, et, scié, il procurait 22,000 pieds du plus beau bois madré.—L'acheteur, après déduction de fr. 5000 de frais, réalisa encore un bénéfice net de fr. 7,500.

Les forêts de la Nouvelle Zélande occupent actuellement 5 millions d'hectares; c'est deux cinquièmes de plus que le territoire de la Belgique.

La gomme fossile est aussi un produit propre surtout à l'Auckland. Cette gomme fournit un bon vernis. Elle provient d'un enfouissement séculaire d'arbres dissous par le temps. On page 13 la trouve à deux ou trois pieds sous terre, sous forme de masses durcies, de même qu a de grandes profondeurs, mèlée aux couches de charbon dans les terrains tertiaires.

L'extraction, gratuitement autorisée par le Gouvernement sur les terres domaniales, améliore celles-ci en les rendant plus perméables.

Le chanvre de la Nouvelle Zélande (Phornium tenax) est très remarquable.—On le rencontre à profusion partout dans les terrains vierges. Sa force de résistance l'emporte sur celle du chanvre de Manille.—Après la soie, c'est la substance filamenteuse la plus résistante que l'on connaisse. Cette fibre s'emploie principalement pour la fabrication des cordages et des câbles de navires.

A leur tour, les arbres fruitiers introduits en Nouvelle Zélande y produisent à profusion des fruits savoureux. Les oranges, les citrons et les grenades mûrissent même à la latitude de Wellington, et les pêches, les pommes, les poires, les raisins, les abricots, les figues, les melons, en un mot tous les fruits des climats tempérés, se récoltent sous toutes les latitudes de la Colonie.

Une autre compensation à la pénurie de la faune néo zélandaise, c'est l'abondance et la grande variété du poisson dans les eaux de la contrée. On en compte 47 espèces de mer propres à l'alimentation indépendamment des bancs de sardines, de harengs et de maqueraux qui, à certaines époques de l'année, accomplissent régulièrement leur migration en passant dans le proche voisinage des côtes.

Les huîtres, les moules, les homards, les écrevisses et autres mollusques et crustacés de valeur et d'excellente qualité abondent et n'exigeraient que des soins appropriés pour devenir la source de grands revenus.

La fertilité du sol de la Nouvelle Zélande est exceptionnelle. Voici, à cet égard, les statistiques concernant le rendement des céréales, extraites du blue book anglais:

Pris isolément, les froments produisent le double de ceux des Etats Unis. Collectivement, les froments, les orges et les avoines y donnent: page 14
  • 52 % de plus qu'aux Etats Unis
  • 71 % de plus qu'au Canada
  • 75 % de plus qu'en Australie
  • 178 % de plus qu'en Russie.
principaux pays fournissant l'Europe occidentale de leur surplus de production, et—dit l'auteur de Land and farming in New Zealand:

«A de rares exceptions près, la rentrée de nos récoltes s'effectue sans encombre et nos travaux champêtres se poursuivent sans interruption toute l'année durant.

Pendant la dernière période quinquennale, le rendement de nos froments a dépassé de cinq boisseaux par acre celui de l'Angleterre; ils y ont obtenu 30% de plus que les froments anglais, et cela pour ainsi dire sans fumage et avec des frais de main-d'œuvre excessivement réduits.

Les nombreux cours d'eau qui arrosent la campagne rendent impossibles les inondations et les sécheresses générales. Pour n'être pas tout à fait inconnus, ces fléaux y sont en tous cas fort rares et toujours localisés.»

Aussi, la Nouvelle Zélande est-elle, relativement à sa population, peut-être la contrée la plus cultivée du globe.

En 1882, elle possédait 406,000 hectares de terres sous culture et 1,432,000 hectares de prairies,—soit, proportionnellement à la population, six fois plus de terrains cultivés qu'en Belgique.

La Nouvelle Zélande est en même temps le pays pastoral par excellence.—Les troupeaux, paissant constamment dans de gras et plantureux pâturages, sont exempts des épidémies engendrées ailleurs par la famine et les perturbations atmosphériques.

On compte déjà en Nouvelle Zélande:

13,288,000 moutons, 700,000 têtes de gros bétail, 162,000 chevaux de labour etc. soit, par habitant, une quotité relative globale 75 fois supérieure à celle de la Belgique.

Et ces troupeaux ne cessent d'augmenter dans des proportions considérables. Ainsi, de 1872 à 1876, l'augmentation dans la production de la laine a été en Nouvelle Zélande de 508% page 15 contre 242% dans l'ensemble des autres colonies australa-siennes. Donc, plus du double en Nouvelle Zélande.

Les dernières statistiques, celles de 1883, empruntées à MM. Fr. Huth et Cie de Londres, accusent sur l'année antérieure, pour les cinq colonies australiennes et la Tasmanie, une augmentation, dans le nombre des moutons de 1,971,000 ou 3,15.—En Nouvelle Zélande, l'augmentation est de 887,555 moutons, ou 7,1%.—C'est un excédant une fois et un quart plus important que dans l'ensemble des six autres colonies autralasiennes.

Ces chiffres donnent une idée de la puissance d'exportation du Pays en ce qui concerne les produits du sol et leurs dérivés.

Un nouvel et puissant élément de prospérité, c'est l'exportation de la viande fraîche congelée, dont le problème est définitivement résolu. - Grâce à la riche et abondante pâture fournie par les prés néo zélandais, la chair du bétail y est de qualité tout à fait supérieure.

Un premier envoi de 5000 moutons abattus, puis congelés, eut lieu en 1882.—Cet essai ayant parfaitement réussi, il fut suivi d'expéditions plus importantes, et pendant les dix premiers mois de 1883, 62,000 moutons abattus en Nouvelle Zélande ont été vendus sur les marchés anglais.—En Novembre dernier, leur chair y obtenait les mêmes prix que celle des meilleurs moutons produits par la métropole.—Disons fr. 1.70 à fr. 1.80 le kilogr. tandis que, à 6 ½dr. la [unclear: lb], ou fr. 1.50 le kilogr., prix moyen obtenu pour les 5,000 moutons du premier chargement, les expéditeurs reconnaissent avoir réalisé un bénéfice très satisfaisant.

Sir Dillon Bell estime que l'accroissement naturel des bestiaux australasiens permet aux sept colonies d'exporter annuellement 700,000 tonnes de viande de boucherie sans diminuer l'importance des troupeaux actuels.

Ce seul chiffre dépasse de 100,000 tonnes l'importation de la page 16 viande nécessaire à l'alimentation du Royaume Uni consommant annuellement 600,000 tonnes de plus qu'il n'en produit.

Relativement à l'ensemble des autres colonies australasiennes, le bétail de la Nouvelle Zélande accusait, en 1882, les chiffres suivants:
Australie et Tasmanie. Nouvelle Zélande. Proportion pour la Nouvelle Zélande.
Race bovine 7,993,275 698,637 8,7 %
Race ovine 60,978,962 12,895,085 21 %
Race porcine 779,487 200,083 25,7 %
Etant pris,
  • le poids moyen du gros bétail à 700 kilog.
  • le poids moyen des moutons à 65 kilog.
  • le poids moyen des porcs à 130 kilog.
et, en acceptant l'évaluation de Sir D. Bell: 700,000 tonnes pour toute l'Australasie, on trouve que la Nouvelle Zélande pourrait exporter annuellement 16 4/10 % de cette quantité, soit 114,800 tonnes ou 114,800,000 kilog. de viande fraîche, représentant, avant l'abattage dans la Colonie, à raison de 70 centimes le kilog., une valeur de plus de 80 millions de francs et au delà du double sur les marchés d'Europe.

Mais si la terre de la Nouvelle Zélande est riche et fertile, le sous sol n'est pas moins digne d'attention.

On y trouve l'or, l'argent, le cuivre, le fer, l'étain, le plomb, le zinc, l'antimoine, le manganèse, le soufre, l'ardoise, le marbre, de nombreuses et excellentes pierres à ouvrer et à bâtir, à chaux et à ciment, de l'huile minérale et, enfin, en quantité inépuisable, la houille, cet agent moteur de toutes les industries.

Comme valeur d'extraction, l'or, jusqu'à présent, occupe la première place parmi les métaux de la Colonie.—Depuis 1857 jusqu'à nos jours, cette extraction s'est élevée à près de 300,000 kilog. représentant une valeur totale d'un milliard environ, soit 39 millions par an.

page 17

Les minerais de fer de toutes les catégories sont, en Nouvelle Zélande, aussi remarquables qu'abondants et contiennent de 43 à 70% de métal.

Les minerais de cuivre recèlent jusqu'à 55% de métal pur. Le plomb argentifère 80%—le zinc 70%—l'antimoine 5o à 70%, etc.

La pénurie des bras a jusqu'ici retardé l'exploitation de ces différents métaux.

Quant aux charbons, représentés par toutes les variétés connues, ils sont parfaits, et le port Russell, dans la baie des îles, a été surnommé le New Castle de la Nouvelle Zélande à cause de la richesse de ses houillères.

Vous avez maintenant, Messieurs, une idée du Pays.—Voyons comment s'y comporte sa vaillante population. Maoris compris, elle s'élève, avons-nous dit, à environ 550,000 âmes, soit 2 habitants par kilomètre carré contre 190 en Belgique.

A densité égale, la Nouvelle Zélande compterait au delà de 50 millions d'habitants.—Ce chiffre ne sera probablement jamais atteint, notre pays étant à beaucoup près le plus peuplé de l'univers—mais l'avenir réserve sans doute à la Nouvelle Zélande une densité de population égale à celle de l'Allemagne, soit une vingtaine de millions d'habitants.

Ce résultat n'est peut-être pas aussi éloigné qu'on pourrait se l'imaginer, grâce au percement de l'isthme américain; car déjà, le maintien de la progression de 7 4/10 % par an, fournie par les 3 derniers recensements, donnera à la Nouvelle Zélande, en 1940, un siècle après le commencement de la colonisation anglaise, une population de plus de 9 millions d'habitants, indépendamment des Maoris.

La population actuelle de la Nouvelle Zélande comprend environ 96% d'habitants de race anglo-saxonne et de citoyens nés dans la Colonie, et 4% d'autres individus d'origine étrangère.

Ce monde néo zélandais est fort actif à en juger par les statistiques.

page 18

Ainsi, la poste délivrait, en 1882, au delà de 52 lettres par habitant, contre 11 lettres par habitant en Belgique,—donc, près de 5 fois plus en Nouvelle Zélande.

Le télégraphe transmettait 2 ½ messages contre une fraction de 62/100 message par habitant en Belgique—ou 4 fois davantage en Nouvelle Zélande.

Les deux îles possédaient, en 1882, 2145 kilomètres de chemins de fer en exploitation, soit 43 kilomètres par 10.000 habitants contre 7 ½ kilomètres en Belgique, ou, relativement à la population, six fois le réseau déjà si important de la Belgique.

S'ils continuent de la sorte, à mesure de l'accroissement de la population, les néo Zélandais, pendant les 50 années à venir, auront à construire encore 30,000 kilomètres de voies ferrées.—C'est un appoint qui doit donner à réfléchir à nos métallurgistes!

Les lignes télégraphiques de la Nouvelle Zélande ont un développement de 16,352 kilomètres de fils conducteurs;—c'est plus de 7 fois la longueur proportionnelle de la Belgique.

Le commerce de la Colonie, importations et exportations, s'élevait à 384 millions de francs en 1882, soit une quotité par habitant de 754 francs, contre 523 francs en Belgique, ou 44% en faveur de la Nouvelle Zélande.

Grâce au grand nombre de rivières navigables, sur un assez long parcours, et surtout à l'énorme étendue des côtes, mesurant au delà de 4800 kilomètres, la Nouvelle Zélande qui possède de nombreux et excellents ports de mer, accessibles aux plus grands navires, entretient naturellement de nombreuses communications par eau.

La flotte coloniale comporte 572 bâtiments marchands, jaugeant 72.400 tonnes, dont 129 vapeurs faisant en même temps le service régulier des voyageurs d'un point à un autre.

La Nouvelle Zélande est aussi le centre de la pêche des grands cétacés dans les mers australes.

L'industrie, déjà prospère, mais entravée par le taux élevé des page 19 salaires, représentait en 1882, en terrains, bâtiments et machines, une valeur de 90 millions de francs.

La recherche de débouchés et d'aliments nouveaux pour notre commerce et notre industrie forme depuis quelques années la préoccupation constante de notre industrieuse Belgique.

Le chiffre de un demi million d'habitants à alimenter paraît, à première vue, trop minime pour s'y arrêter.—Écoutons à ce propos Sir Dillon Bell s'adressant au public choisi du Colonial Institute de Londres.

«La Nouvelle Zélande, disait-il, importe actuellement d'Angleterre une valeur en marchandises de plus de £ 4,450,000 (soit plus de 112 millions de francs), ce qui donne £ 9 par habitant, tandis que les États Unis n'en prennent que pour 12 shillings, la France pour 9 shillings et l'Allemagne pour 8 shillings—de sorte que, au point de vue de l'industrie britannique, un néo Zélandais compte autant que 15 Américains, 20 Français et 23 Allemands.»

Donc, si nous avions avec la Nouvelle Zélande des rapports d'affaires, établis de longue date, nous y écoulerions, aussi bien que les Anglais, les produits de nos usines et nous nous y trouverions dans un centre de population équivalent à 7 ½ millions d'Américains, à 10 millions de Français ou à 11 ½ millions d'Allemands,—car, remarquez le, les principaux articles d'importation en Nouvelle Zélande sont précisément ceux où excelle notre industrie nationale.

Vous en trouverez la preuve dans le document que vous avez sous les yeux. *

Près de 110 millions de francs, (tableau A), constituent la part des produits fabriqués introduits dans la Colonie.

Le tableau B renseigne les chiffres des produits similaires belges formant le total de ces articles exportés par nous dans tous les pays réunis.

* Voir l'annexe 1, ci-contre.

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Les lacunes du tableau B sont la conséquence d'un groupement différent dans les statistiques des deux contrées.—Elles comportent du reste à peine 12% du montant total du tableau A.

Le chiffre de 93 ½ millions de francs est assurément significatif;—il représente 23% de nos exportations totales de ces mêmes produits fabriqués.—Malheureusement, nous ne figurons absolument pour rien dans les importations de la Nouvelle Zélande.

Certes, nos produits y pénètrent par l'entremise et sous l'étiquette étrangère, puisque les statistiques du board of trade de Londres attestent que les deux tiers des produits continentaux, importés en Angleterre, sont réexpédiés par les Anglais dans le monde entier.

D'autre part, M. le Ministre des affaires étrangères, l'honorable M. Frère Orban, disait dans son discours à la Chambre, le 20 Janvier 1882, pages 407 et 408 des annales parlementaires, à propos du traité de commerce avec la France, que la Belgique vend une grande quantité de ses produits à des maisons françaises qui se chargent de les réexporter.

Il citait nos fils et nos tissus de coton dont, en 1880, l'importation en France s'était élevée à la somme de 17 millions de francs.—De ce chiffre, 38% seulement étaient demeurés en France et l'excédant (62%) avait été expédié au loin.

Nos tissus de laine accusaient à l'entrée en France une valeur de fr. 5,109,000;—réexpédition 56%.

Les fers, les fontes, les aciers, fournis par nous à ces voisins, s'élevaient à fr. 12,202,000;—ils n'en n'avaient utilisé pour leur consommation que 42 % et, ajoutait l'honorable Ministre: « On pourrait multiplier ces exemples et constater, pour la plupart des articles et surtout pour les produits manufacturés, que la plus grosse partie de l'importation de Belgique ne demeure pas en France

Il en est de même, mais dans de plus grandes proportions, de nos exportations en Angleterre et en Allemagne, dont le page 21 trafic avec les contrées lointaines est sensiblement plus étendu que celui de la France.

Notre commerce spécial accuse une valeur de près de 3 milliards, importations et exportations réunies.—Rien que l'attribution de la moitié de ce chiffre passant par les mains de nos voisins, donne, à raison de 5% de bénéfices prélevés, de frais de transport en circuits inutiles, d'entreposage, de déterrioration, de casse, d'assurance, etc. une économie annuelle de 75 millions de francs à réaliser par la création de relations directes avec les pays lointains.

La Belgique industrielle possède assez de titres glorieux pour inspirer le respect au monde, mais c'est à développer son commerce et sa marine qu'elle doit consacrer tous ses efforts.

Comme l'a souvent préconisé notre éminent Chef du Cabinet, c'est vers les parages lointains qu'il nous faut résolument porter nos regards. La lutte y est égale pour tous et la forte organisation actuelle de notre industrie nous y assure le succès.

Nous avons vu la part que notre industrie nationale pourrait revendiquer à l'exportation vers la Nouvelle Zélande. Nous aurions égal avantage à nous procurer, par voie directe, les denrées de la Colonie. A ne citer que les laines de la Nouvelle Zélande, figurant, d'après mon tableau C, pour 78 millions à l'exportation, elles se vendent toutes sur le marché de Londres. Or, notre industrie lainière et celle des pays limitrophes, c'est à dire, le nord de la France, les provinces Rhénanes, l'Alsace-Lorraine, la Suisse, etc., enlèvent annuellement au marché anglais 60% de ses importations de laines australasiennes.

Si ce contingent, appliqué à la production des laines de la Nouvelle Zélande, arrivait directement à Anvers, la seule différence des frais de transport direct sur les lieux de la consommation continentale, procurerait, au profit de la marchandise, une économie annuelle de fr. 800,000.

Et voilà, Messieurs, ce que nous offre un pays neuf, d'à peine page 22 500,000 habitants, dont la population et le trafic sont appelés à décupler en une ou deux générations.

Que d'argent nous épargnerions, quels bénéfices seraient les nôtres, si, au lieu de nous servir de l'entremise de nos voisins, nous allions à côté d'eux résolûment fonder des établissements et des comptoirs en pays lointains, y offrir directement nos produits aux consommateurs et y chercher nous mêmes la matière première à façonner par nos industriels!

Il ne peut entrer dans le cadre de ma conférence d'examiner les causes multiples auxquelles les Anglais doivent leur supériorité mercantile.

A chacun suivant ses oeuvres, dit le code de la morale. Pour être justes, attribuons uniquement cette position dominante des Anglais, dans le monde des affaires, à leur patient labeur et surtout à la sagesse qui les caractérise.

Moins protectionistes qu'aucun autre peuple, ils ont néanmoins compris que l'absolu n'est pas du domaine de l'humanité; et lorsqu'il s'agit de créer oeuvre nouvelle, aléatoire à son début, ils savent faire exception à la règle et placer à fonds perdus, collectivement ou individuellement, selon les circonstances, des forces et des capitaux qui plus tard se reconstitueront d'eux mêmes et rapporteront de gros intérêts.

Avec quel tact et quelle habileté aussi, ils savent distinguer et s'approprier les individualités capables de rendre des services spéciaux dans toutes les sphères de leur activité nationale!

Mais revenons à la Nouvelle Zélande.

Les institutions sociales et économiques de ce peuple néo zélandais, si grand producteur et si grand consommateur, offrent les mêmes conditions, prodigieuses à nos yeux, que leur activité mercantile.

Les banques y comptent un encaisse de 428 millions de francs; les travaux publics absorbent, par habitant, 8 fois autant d'argent qu'en Belgique.—Le budget de l'instruction accuse la même proportion.

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La dette publique s'élève à fr. 1,484 par habitant, contre fr. 234 dans notre pays.—C'est une charge six fois plus forte; mais telle est la richesse de la contrée, les statistiques officielles l'attestent, que cette' dette, dont le fardeau individuel est appelé à s'alléger rapidement par l'accroissement beaucoup plus accentué de la population, pèse, actuellement déjà, moins sur les néo Zélandais que la dette publique supportée par la plupart des autres peuples du globe.

En effet, lorsqu'on compare le gain individuel des habitants de la Nouvelle Zélande avec leurs charges publiques, on trouve que le néo Zélandais épargne 24% de son revenu, tandis que l'Anglais n'économise que 13%, le Français 19% et l'Américain 22%.

Cette assertion est confirmée par la prospérité des caisses d'épargne. En 1882, les dépôts atteignaient 11 ½ fois le montant des nôtres, tous établissements de prévoyance compris, et le nombre des déposants était 4 fois supérieur en Nouvelle Zélande,—relativement à la population respective des deux pays.

Il n'y a, en Nouvelle Zélande, ni budget des cultes ni budget de la guerre.—Les frais du culte sont supportés par les fidèles de chaque communion et la force armée régulière est composée d'un millier d'hommes, chargés de maintenir l'ordre public.

Par contre, la Colonie possède de nombreux corps de volontaires de toutes armes de terre et de mer, mais s'équipant à leurs frais.

Leur nombre, en 1882, s'élevait à environ 10,000 hommes.

La justice est administrée comme dans tous les pays civilisés. Chaque district ou province a ses tribunaux criminels et civils, et Wellington, la capitale, possède en outre une cour suprême et une cour d'appel.

Le gouvernement est représentatif.—Il se compose d'une page 24 chambre haute et d'une chambre basse.—La Couronne est représentée par le Gouverneur général, lequel, en dehors des questions se rattachant exclusivement aux intérêts de l'Empire britannique, ne prend conseil que de ses" ministres nommés par lui, mais responsables devant la Colonie. C'est donc un gouvernement autonome s'administrant à sa guise pour tout ce qui regarde ses intérêts propres.

Est électeur ou éligible à tous les degrés, tout homme âgé de 21 ans ayant une année de résidence dans la Colonie ou quiconque, six mois avant le décret d'une élection, s'est rendu acquéreur d'un immeuble d'au moins £ 25.—.

Pour vous donner un aperçu complet de la Nouvelle Zélande, il me reste à vous esquisser le mode d'existence qu'on y mène.

La population rurale comprend environ deux tiers des habitants.

En 1881, on comptait, en Nouvelle Zélande, 96 communes constituées, dont 35 villes ayant plus de 1000 habitants.

Les 4 agglomérations les plus considérables sont:
  • Dans l'Ile du Nord: Auckland avec 40,000 habitants
  • et la capitale de la colonie, Wellington avec 21,000 habitants
  • Dans l'Ile du Sud: Dunedin avec 43,000 habitants
  • et Christchurch avec 31,000 habitants

La plupart des villes de quelque importance possèdent de beaux monuments, des promenades et des parcs publics, des théâtres, des salles de concert, des clubs, des tramways, etc., etc. Elles sont éclairées au gaz et à l'électricité,—elles sont alimentées d'eau douce par des réservoirs artificiels, comme les grandes villes d'Europe et d'Amérique; — enfin, offrant tout le confort habituel à la race anglo-saxonne, elles sont dotées de tous les agréments et de tous les perfectionnements modernes.

Les grands centres publient des journaux quotidiens et hebdomadaires aussi importants que les volumineux organes de la presse anglaise, ainsi que des revues et des illustrations de page 25 tout genre. Même, beaucoup de localités de moins de 1,000 habitants possèdent des imprimeries et des journaux.

A un autre point de vue, la Nouvelle Zélande offre des avantages non moins précieux.—Je veux parler de la liberté de conscience octroyée par les lois et sanctionnée par les moeurs. Un extrait d'une lettre intime adressée par un architecte de la Nouvelle Zélande à un de ses parents en Belgique va vous le dire. Cette lettre est en ma possession.

»La plus grande tolérance règne ici au sujet des idées religieuses. Soyez protestant, catholique, juif, turc, chinois, libre penseur, tout ce que vous voudrez,—personne ne s'occupe de cela. C'est affaire de conscience dont nul ne songe à se mêler. Le plus grand avocat de la Colonie, ci-devant attorney général et actuellement membre du Parlement, est le chef avéré de la libre pensée.—L'idée n'est jamais venue de lui en faire un grief.

Je suis un bon catholique, connu comme tel, et j'ai bâti des églises protestantes et catholiques.—Chaque communion ayant à pourvoir ici aux besoins de son culte, les églises et les temples s'érigent à l'aide de souscriptions privées. Or, les protestants s'adressent dans ce but aux catholiques aussi bien qu'à leurs coreligionnaires et nous, de même, nous nous adressons aux protestants.

Le seul sujet de division entre les partis, c'est la sécularisa tion de l'enseignement que, nous catholiques, nous réprouvons ici comme ailleurs, mais ce sont là des questions qui se débattent en silence dans les comices électoraux etc. etc.»

Quelques autres extraits compléteront le tableau.—Nous avons d'abord Sir Julius Vogel, ancien ministre et l'un des fondateurs les plus populaires de la Colonie.

Nos compatriotes se feront une idée du Pays en apprenant qu'il est peu peuplé; qu'il possède dans son ensemble un climat bien préférable à celui de la Grande Bretagne avec laquelle, physiquement, il a de nombreuses ressemblances en plusieurs de ses parties.

L'absence de paupérisme et de castes sociales tranchées permet page 26 à l'homme privé de protection de s'y créer plus facilement qu'en Angleterre une honnête aisance.

Mais pour être peu peuplée, la Nouvelle Zélande n'est pas dépourvue des avantages dont la science a doté la civilisation. Les lignes télégraphiques la sillonnent dans tous les sens et les chemins de fer se développent rapidement.

L'avenir lui réserve des millions d'habitants et chaque acre de terre représentera alors une valeur proportionnelle. En attendant, et quoique l'on sache que tel sera le cours inévitable des choses, l'insuffisance du capital dans la Colonie permet d'y acquérir des millions d'acres à un taux dont la génération à venir verra peut être le loyer atteindre le prix d'achat actuel.

En somme, la fortune est plus divisée en Nouvelle Zélande et tout homme capable et apte au travail, petit commerçant, artisan ou laboureur, sans se refuser les satisfactions honnêtes de l'aisance, peut avec une certaine entente d'ordre et d'économie, se constituer un capital.

Qu'on n'augure pas de là que la Nouvelle Zélande est pour tous un pays de cocagne.—C'est une terre d'abondance pour le colon capable de se livrer aux travaux appropriés aux besoins de la Colonie ou pour celui dont les moyens permettent de faire travailler pour son compte à des entreprises utiles et fécondes.

Pour les autres, au contraire, c'est un séjour ingrat où savoir lire et écrire ne suffit pas.

Par dessus tout, elle n'est pas hospitalière à la classe des propre à rien, cette terre étrangère peuplée d'étrangers, artisans de leur fortune, ayant en horreur tous les déclassés, à quelque rang qu'ils appartiennent.

Au risque de passer pour adulateur de la Nouvelle Zélande, on ne peut, pour être sincère, se dispenser de dire l'attrait exercé par elle sur ceux qui sont venus s'y fixer.

Bien des gens, après fortune faite, n'y étant plus retenus par rien, continuent cependant à y séjourner, préférant leur gîte à toute autre partie du globe et ne comptant pour rien les séductions page 27 du vieux monde à côté de la grande liberté dont ils jouissent dans la Colonie.

L'excellence du climat, la beauté du pays et la franche et cordiale intimité de ce milieu colonial produisent cette préférence marquée

Voici maintenant, pour terminer ces citations, un autre auteur très estimé, l'honorable J. Berry, habitant de Napier, dans l'Ile du Nord.

»Si les Anglais savaient bien que, sous un ciel préférable à celui de l'Italie, il existe une terre anglaise régie par les lois, les coutumes et les mœurs de la mère-patrie, chaque année, l'unique attrait du climat amènerait des milliers d'entre eux en Nouvelle Zélande.

Le charme de notre climat se fait surtout sentir en hiver.—Nos étés sont à peine plus chauds que ceux de l'Angleterre et nos hivers sont de neuf degrés centigrades moins froids.

Dans mon propre jardin, mes géraniums, mes fuchsias, mes héliotropes, etc., fleurissent toute l'année et mes figuiers donnent deux récoltes de fruits parfaitement mûrs.

Les cultivateurs anglais ne peuvent concevoir l'économie de main-d'œuvre possible sous notre ciel. Dans les cinq sixièmes de la Colonie, chevaux et bestiaux ne connaissent pas l'étable.—Un seul berger suffit à l'entretien de 2000 moutons.

Nous payons à nos aides des gages quatre ou cinq fois plus élevés qu'en Angleterre, mais le nombre de bras nécessaires étant bien moindre, je doute que la somme des salaires soit plus élevée chez nous.

Avec notre climat et notre sol, un fermier anglais pourrait payer à ses serviteurs un shilling l'heure de travail et faire sa fortune.

Le taux élevé des salaires n'est du reste pas sans compensations économiques.—Il engendre le perfectionnement des machines.

Nous possédons les meilleures races ovines et bovines. La fréquence de nos courses de chevaux atteste les soins apportés à l'amélioration de l'espèce.

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Les rivières abondent en poisson, les forêts en gibier et nous sommes exempts d'animaux dangereux ou féroces aussi bien que de reptiles venimeux.

Dans quelques années, lorsque, plus peuplé, le Pays sera tout entier défriché et livré à l'activité humaine, la vie en Nouvelle Zélande offrira des charmes incomparables. Nulle part, déjà, ne se rencontre semblable abondance et un luxe mieux entendu que dans les parties cultivées et habitées depuis dix à vingt ans.

J'engage instamment le capitaliste incrédule à se rendre compte par lui même de mes assertions. S'il s'y résout, même dans le seul but de satisfaire sa curiosité, il n'aura pas à regretter le voyage. De l'aveu de presque tous les visiteurs, aucun séjour terrestre n'est préférable au nôtre.»

Quant au coût de la vie matérielle, il n'est guère plus élevé en Nouvelle Zélande que dans l'Europe centrale.

La main-d'œuvre y est sensiblement plus chère et les ouvriers y gagnent en moyenne de 12 à 14 francs par jour, les domestiques et les servantes de 60 à 120 francs par mois; mais le bon marché des denrées alimentaires compense l'élévation des salaires.—Un kilogramme de bon bœuf ou de mouton revient à 80 ou 90 centimes.

Tel est, Messieurs, ce merveilleux pays, trop longtemps négligé par nous et dont l'avenir, dit Richard Rose, envisagé sous tous ses aspects, apparaît comme un lumineux soleil levant dans un ciel sans nuages.

Et cependant, en s'exprimant de la sorte, en 1879, ni Richard Rose, ni Sir Julius Vogel, ni J. Berry ne songeaient au percement du Panama, appelé, comme nous l'avons vu, à améliorer sensiblement la position géographique de cette admirable contrée.

N'attendons pas, pour agir efficacement, que la situation, escomptée par d'autres, y rende notre intervention trop difficile.

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Notre trafic suivrait en Nouvelle Zélande une marche ascendante proportionnelle au développement rapide de la Colonie.—Nos descendants y trouveraient un champ d'exploitation vaste et familier.

L'affluence croissante des populations dans les grands centres y rend la lutte pour l'existence de plus en plus opiniâtre.—Les professions, assaillies en raison de la facilité de leur accès, donnent lieu à une concurrence excessive.—La difficulté de se créer et même de maintenir une position honorable s'accroît sans cesse.

Ailleurs, et notamment en Nouvelle Zélande, le contraire se présente.

Maintenant que les monopoles et les droits différentiels ont cessé d'exister dans les colonies, ce n'est plus la suzeraineté onéreuse exercée en pays lointains qui fait la richesse des nations,—mais bien la présence d'un grand nombre de leurs enfants disséminés sous toutes les latitudes du globe. Ils y font connaître et apprécier les produits de la mère-patrie, les imposent à leurs voisins et renvoient, en retour, à la métropole les denrées exotiques.

C'est à ce régime que la Belgique est obligée de recourir sans retard sous peine de ruine nationale.

On a souvent prétendu, et avec raison, que la balance des importations et des exportations ne détermine en rien la richesse des nations;—mais tout dépend ici de l'organisation économique des peuples auxquels s'appliquent ces théories.

J'avais à ce propos, ces derniers jours, une conversation avec un honorable représentant de notre arrondissement *;—il attira mon attention sur quelques uns des points suivants:

En Belgique, depuis douze années, la moyenne de nos importations l'emporte de plus de 325 millions sur nos exportations et nous n'avons, pour compenser ce déficit, que le

* Monsieur E. de Decker.

page 30 revenu de l'épargne publique en valeurs étrangères, bien inférieur à cette différence.

Le bénéfice du transit ne peut entrer que pour une faible part dans la balance, la presque totalité des recettes étant perçues par l'Etat, exploitant des lignes ferrées.

Quant aux profits du commerce sur les importations, on sait ce qu'ils valent depuis que la fièvre de spéculation a transformé en éléments de jeux de bourse la plupart des denrées exotiques constamment cotées plus cher en pays producteurs que sur nos propres marchés.

En ce qui concerne nos placements au dehors, ils se sont, il est vrai, accrus dans ces derniers temps, mais, relativement, ils n'en demeurent pas moins insignifiants et ne compensent certainement pas l'actif de l'étranger en Belgique. Pour ne citer que l'importante branche des assurances maritimes et sur la vie, combien minime est le chiffre d'affaires des compagnies belges, n'opérant guère au delà de nos frontières, en comparaison du drainage de nos capitaux par les puissantes compagnies d'assurances étrangères fonctionnant dans notre pays, et dont les actions sont cotées à des milliers de pour cent au dessus du pair. (Voir annexe 2).

Si l'on ne considérait que le chiffre de nos échanges, évidemment élevé en comparaison de celui des autres peuples européens, on serait tenté de conclure à la grande prospérité du Pays.—On se tromperait grossièrement.—L'importance des transactions n'est pas à elle seule le signe déterminatif de la richesse des peuples.—La production, la vente et l'achat enrichissent ou appauvrissent en raison des bénéfices ou des pertes qu'ils occasionnent.—La prospérité publique repose sur de nombreux équilibres; elle dépend surtout de la variété des canaux qui l'alimentent.

Or, nous ne possédons pas, comme les Anglais, une puissante marine marchande dont les frets, perçus dans le monde entier, combleraient une grande partie du gouffre de notre excédant page 31 d'importations; *—nous n'avons pas, comme eux, de nombreux établissements financiers, industriels, commerciaux, agricoles et miniers en lointains pays.

Pour ne parler que de l'Australasie, comptant moins de 3 millions d'habitants, le montant des capitaux anglais, placés dans cette partie du monde, atteint 260 millions sterlings ou 6,500 millions de francs, rapportant en intérêts et dividendes £ 18 millions ou 450 millions de francs, soit 7 ¾% en moyenne.

En limitant au dixième cette proportion et en l'appliquant à l'ensemble des possessions britanniques comptant 205 millions d'habitants, le capital de la nation anglaise dans ses colonies représenterait 44,200 millions rapportant annuellement environ 2,640 millions.

Nous n'avons pas non plus, comme les Anglais, de nombreux colons en pays étrangers qui, fortune faite, rentrent, avec leur avoir, sur le sol natal.

A quelques unités de mille près, nos émigrés à nous, au nombre de 5 à 600,000, sont des ouvriers, flamands pour la plupart, allant se fixer dans les pays frontières.—Ils y font la fortune de nos voisins dont ils consomment les produits.

Mais heureusement, depuis ces derniers temps, notre avenir national préoccupe les esprits les plus optimistes.

La nécessité d'un exode systématique commence à être comprise.

En effet, pour une population aussi dense que la nôtre,

* La flotte marchande britannique (navires do mer seulement) comprenait, à la fin de 1883:

  • 17,875 voiliers, jaugeant brut 5,271,100 tonnes
  • 4,649 vapeurs jaugeant brut 5 919,819 tonnes

Total 22,524 navires, jaugeant brut 11,190,979 tonnes, et représentant un capital estimé à 4 milliards de francs.

En 1883, la flotte belge comptait 62 bâtiments jaugeant ensemble 85,366 tonnes; et la flotille de l'établissement John Cockerill exceptée, la plupart de ces bâtiments n'ont de belge que le pavillon.

page 32 l'émigration est absolument nécessaire.—Elle seule pourra résoudre pacifiquement la redoutable question sociale et prévenir la révolution violente dont sans cela nous serions menacés.

A certains points de vue et dans les pays moins peuplés que le nôtre, l'utilité d'une forte et constante émigration peut être contestée, mais en Belgique elle s'impose parce que notre sol est sensiblement trop étroit pour le nombre de ses habitants.

Les chiffres suivants en fournissent la preuve éclatante. Je les prends dans une statistique de 1872:

A cette époque, la Belgique comptait 185 habit. par kilom. carré.
  • La grande Bretagne 110 habit. par kilom. carré.
  • L'Allemagne 75 habit. par kilom. carré.
  • La France 68 habit. par kilom. carré.
  • La Suisse 64 habit. par kilom. carré.
  • L'Autriche-Hongrie 58 habit. par kilom. carré.
  • la moyenne de L'Europe 30 habit. par kilom. carré.
ce qui revient à dire que 3,340,000 Belges ou près des deux tiers de notre population pourraient émigrer et que la Belgique aurait encore une densité de population égale à celle de l'Allemagne, sous ce rapport, la seconde en rang après nous.

Or, ne vous paraît-il pas, Messieurs, après ce que nous venons de voir, que nul pays ne saurait offrir autant de chances de succès et de prospérité aux Belges que la Nouvelle Zélande.

Un avenir magnifique, un pays splendide, un sol riche et fertile, un climat délicieux, une salubrité incomparable, des institutions parfaites, une population énergique et active, un niveau intellectuel élevé, absence de plaies sociales redoutables, sécurité politique et individuelle absolue,—tout, enfin, y forme un milieu qui ne saurait être dépassé.

C'est pourquoi, j'en ai l'intime conviction, une intelligente propagande et des moyens convenables mis à la portée des intéressés, attireraient en Nouvelle Zélande de nombreux pionniers belges. J'en trouve un indice significatif dans le grand nombre d'offres, de lettres et de demandes d'informations qui me sont parvenues depuis la publication de mon livre, de la part de page 33 gens manquant de travail, ou mal rétribués, ou inquiets de l'avenir et qui espèrent trouver mieux sous un autre ciel.

Et quels sont les moyens à mettre en œuvre pour répondre à ces légitimes aspirations? Ils sont bien simples.—Nous n'avons rien à inventer ici;—bornons-nous à suivre l'exemple des Anglais, ces maîtres dans l'art de coloniser. J'ai sommairement indiqué ces moyens dans les conclusions de mon livre.

La première mesure à prendre est de fonder dans la Colonie des centres sérieux de renseignements présentant toutes les garanties de sécurité. Il faut y installer de bons agents actifs, ayant à cœur l'objet de leur mission et se chargeant avec zèle de procurer aux émigrants belges, peu fortunés mais méritants, la gratuité du voyage, conformément à la loi d'immigration en vigueur dans la Colonie. A en juger par les idées larges du gouvernement néo zélandais, j'ai tout lieu de croire qu'un plan sérieux d'immigration belge en Nouvelle Zélande y serait bien accueilli par les autorités et nous vaudrait peut-être à bref délai, pour peu que ce plan fût suivi d'un commencement d'exécution, la présence, à Bruxelles, d'un agent néo zélandais de recrutement continental, en sous-ordre de l'agent général de la Colonie à Londres.

Je viens de dire, Messieurs, que l'émigration s'impose aux Belges et cette nécessité me semble surtout commandée par la situation précaire de l'agriculture.

La production exotique des céréales, favorisée par la facilité croissante des transports, cause, depuis quelques années, une dépréciation constante des blés indigènes et conséquemment des terres arables.

Au moment où nos fermiers commencent à donner plus d'extension aux cultures industrielles et à l'élevage du bétail, cette dernière ressource va disparaître à son tour en présence de la concurrence des viandes fraîches importées des mêmes pays transocéaniques.

page 34

Nous assistons, cela est évident, au début d'une crise économique sérieuse.

Déjà, des propriétaires fonciers voyant décroître leurs rentes par l'absence ou l'amoindrissement des fermages, cherchent une compensation dans l'abattage exagéré des bois et forêts,—mais ils ne tarderont pas, j'imagine, à comprendre l'inanité d'un palliatif détruisant à la fois le fonds et "le revenu.

Le déboisement trop considérable de notre territoire, résultat de la prospérité agricole antérieure, est la cause principale des inondations qui désolent trop souvent le Pays.

Dans un proche avenir, au contraire, la dépréciation graduelle des terres arables ramènera forcément les propriétaires terriens à rechercher un intérêt, modique mais sûr, dans le reboisement des campagnes,—et les champs restants, les meilleurs et les plus productifs, assainis et protégés par le voisinage des bois reconstitués, trouveront un emploi régulier par la culture industrielle et maraîchère.

Devant la réalité, rien ne sert d'user des procédés de l'autruche.—Il n'y a pas à se le dissimuler, les terres agricoles en Europe continueront à subir une dépréciation parallèle à la plus-value indubitablement réservée aux terres vierges des nouveaux mondes.

Ici se pose une grave question. Que deviendront tous les petits cultivateurs désormais dans l'impuissance de prolonger sur le sol natal la lutte à outrance pour l'existence?—Le remède, Messieurs, est toujours à côté du mal. L'émigration sera leur salut et celui de la patrie.

S'associer pour produire et se diviser pour vivre.—L'équilibre social repose tout entier sur ce double axiome économique.

C'est pour l'avoir appliqué de longue date que l'Angleterre a conquis son immense pouvoir.

Que les Belges donc, songent à encourager sérieusement l'émigration de leurs nationaux vers des contrées où leur présence profitera largement à la mère-patrie. Et ces contrées sont celles page 35 qui, comme la Nouvelle Zélande, commencent à révéler leurs grandes destinées. Pendant de longues années, nous pouvons avec avantage écouler, en grandes quantités, nos produits nationaux en semblables pays.—Dans la période d'enfantement, la pénurie des bras met une entrave à la naissance des industries locales.—Les États Unis, par exemple, jadis tributaires des industries européennes, actuellement viennent nous faire chez nous une redoutable concurrence.

Ne nous obstinons pas contre l'impossible.—Etendons pacifiquement notre domaine ailleurs.

La suppression des intermédiaires est une des caractéristiques de notre époque.—De là, l'amoindrissement constant des marchés de denrées exotiques en Europe et la prospérité croissante des pays producteurs transocéaniques. C'est en participant à cette prospérité du dehors par l'emploi de nos forces actives, de nos capitaux surtout, que nous rétablirons l'équilibre budgétaire de la patrie.

Pourquoi ne créerions-nous pas, comme nos voisins, des sociétés d'émigration acquérant des domaines en certains pays lointains? Nous y dirigerions nos émigrants.

Petits et grands, Messieurs, nous Belges, aussi bien que nos frères étrangers, si nombreux parmi nous,—tous, nous sommes intéresssés à la solution pacifique du grand problème social qui se dresse menaçant devant nous.

Lorsqu'on sent vivement et qu'on s'éprend d'une idée généreuse, on ne connaît plus d'obstacles.

Je me trouve dans ce cas et c'est ce qui m'a déterminé, après mûre réflexion et sur les conseils de quelques amis, à me proposer au gouvernement comme titulaire éventuel au poste de consul général à créer en Nouvelle Zélande.

Personne, assurément, ne me soupçonnera de poursuivre un but intéressé.—Ceux qui me connaissent savent suffisamment que la carrière consulaire ne me procurera pas, à beaucoup page 36 près, les bénéfices que je puise dans l'exercice de ma profession; mais je vois, dans le rôle que je sollicite, une belle et noble mission à remplir, de grands services à rendre à mon pays et j'éprouve l'ambition de réaliser cette tâche patriotique.

Ma requête a été fortement appuyée auprès de M. le Ministre des Affaires Etrangères par les pétitions d'Anvers, de Liège, de Gand et de Verviers; * l'honorable M. Frère-Orban, retenu par l'exiguité des ressources du Trésor, hésite, m'assure-t-on, à satisfaire, en ce moment, à ce vœu du commerce et de l'industrie.

La somme est pourtant bien insignifiante,—les émoluments les plus élevés d'un consul général ne dépassant pas fr. 25,000, mais, comme me l'écrivait un honorable député: le vent est aux économies et les intérêts en conflit ne distinguent pas toujours celles qu'il convient de repousser.

Si je devais échouer auprès du Gouvernement, je ne m'en chagrinerais pas outre mesure.—Ne pouvant pas attendre indéfiniment la solution du Pouvoir, je songerais à aller en Nouvelle Zélande rendre à mes compatriotes des services moins étendus, moins généraux, mais plus lucratifs pour moi. J'irais, appuyé par ceux qui seraient tentés de me confier leurs capitaux, fonder une entreprise privée offrant toutes les perspectives de réussite.

Les terrains affectés aux pâturages rapportent au bas mot, en Nouvelle Zélande, 10 à 12% et l'acquéreur, surtout en présence du futur percement du Panama, peut s'attendre à une rapide et considérable plus-value du fonds,—notamment dans l'Ile du Nord, où le sol est au moins aussi fertile que dans le Sud et où les terres vierges occupent encore d'immenses espaces obtenables à des prix relativement fort bas.

Pour donner un exemple des bénéfices à réaliser par l'achat des terres en Nouvelle Zélande, je citerai le domaine de Cherwood,

* Une semblable pétition a été adressée le 4 Février à Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères par la Chambre do commerce de Charleroi.

page 37 dans l'Ile du Sud. Acquis en 1869 et revenant, constructions et défrichement compris, à fr. 308 l'hectare, le propriétaire y fit rapidement sa fortune.—Lorsqu'il revendit, en 1878, ses 2730 hectares, il les réalisa à raison de fr. 837, soit, en dix années de temps, une plus-value de 162%.

Les opérations de ce genre, souvent répétées, sont l'une des causes de la richesse de la nation anglaise. Elles expliquent aussi les gros dividendes des grandes sociétés coloniales fondées avec les capitaux anglais.

Quelques mots encore, Messieurs, et j'ai fini: J'étais préoccupé de savoir comment les néo Zélandais, presque en totalité d'origine anglo-saxonne, envisageraient l'arrivée parmi eux de nombreux colons étrangers. J'ai questionné à ce sujet des fondateurs de la Nouvelle Zélande et d'autres Anglais ayant séjourné longtemps dans la Colonie. Les diverses réponses obtenues peuvent se résumer dans la déclaration et dans les conseils suivants que vous retrouverez dans mon livre:

»Rien de pareil n'est à craindre. En dépit de leur origine, ces habitants sont, avant tout et patriotiquement, néo Zélandais. Ils sont si fiers de leur pays, appelé volontiers par eux l'Angleterre du Sud, que, sans renier leur berceau, ils se considèrent comme ennoblis par leur nouvelle patrie. Ses progrès sont leur oeuvre et la prospérité individuelle liée à celle de la Colonie l'emporte sur toutes les autres considérations. Quiconque, en se rendant en Nouvelle Zélande, contribuera au développement de la richesse publique par l'apport de capitaux, d'intelligences et de bras, est sûr de la sympathie enthousiaste de ce peuple, bon enfant parce qu'il est heureux et prospère.

Les seuls procédés à y mettre en oeuvre sont ceux dont se servent les Anglais. La condition initiale c'est l'argent. Fondez des établissements au capital d'au moins 100 à 200 mille livres sterlings; établissez vous sur tels points répondant le mieux aux entreprises que vous avez en vue: achetez des terres, cultivez-les page 38 ou exploitez en les ressources par vous mêmes ou à l'aide de ceux auxquels vous en fournirez les moyens pécuniaires; faites la banque et le commerce; importez vos produits, constituez en des dépôts judicieusement appropriés aux goûts et aux besoins des consommateurs; créez y des usines et des manufactures; amenez y des artisans habiles, des agronomes expérimentés, des ingénieurs intelligents, en un mot, des travailleurs honnêtes de toutes classes et de tout rang; établissez des relations maritimes entre la Belgique et la Nouvelle Zélande, et vous rencontrerez là-bas le meilleur et plus satisfaisant accueil aussi bien que richesse et contentement.»

Vous le voyez, Messieurs, nul obstacle sérieux n'est à redouter pour nous dans cette contrée aux vastes et brillants horizons et si je consens, à l'apogée de la vie, à briser les liens toujours chers qui rattachent l'homme au sol natal,—je vous l'ai dit déjà, ce n'est pas une pensée de lucre qui me guide.

Je suis mû par des aspirations plus élevées, et j'ai la conviction qu'en faisant souche en Nouvelle Zélande, non seulement j'y trouverai l'occasion de me rendre utile à mon pays, mais que j'emporterai dans la tombe la reconnaissance de mes enfants pour leur avoir assuré, ainsi qu'à leur descendance, un avenir calme et serein sous un climat infiniment préférable au nôtre.

En terminant, je dirai avec M. de Tocqueville: "Le monde appartient à l'énergie." Sachons donc, désormais, déployer la nôtre en pays lointains. C'est le seul moyen par lequel nous maintiendrons notre prospérité nationale, ébranlée par des causes dont les effets tourneront à notre avantage, si nous savons agir énergiquement.

Dans cet ordre d'idées surtout:

"Vouloir C'Est Pouvoir."