Other formats

    TEI XML file   ePub eBook file  

Connect

    mail icontwitter iconBlogspot iconrss icon

Historical Records of New Zealand Vol. II.

[section]

page 444
Relation d'un Voyage dans les Mers Australes et Pacifique commencé en 1771, sous le commandement de M. Marion du Fresne, Capitaine de Brulot, et achevé en 1773, sous celui de M. du Clesmeur, Garde de la Marine.

Le 12e jour après notre départ nous entrâmes dans un lit de marée qui dura 24 heures.

Le 25 Mars nous eûmes la vue d'une très haute montagne en pain de sucre, qui peut se voir au moins de 25 lieues en mer.

Le 28 en étant très près, nous distinguâmes sur son sommet des taches blanches que nous jugeâmes être de la neige.

Le même jour nous observâmes la hauteur du pole de 39″ ce qui nous donna lieu de croire que c'était une des pointes de la baie des assassins qui a environ 30 lieues d'ouverture, de là nous suivîmes la côte qui fuit vers le Nord et à deux lieues du rivage nous eûmes presque toujours la sonde de 25 brasses sur un fond de sable.

J'ajouterai que cette partie est boisée, que la côte parait déserte et sablonneuse, nous vîmes cependant de fumée et en quelques endroits des hommes sur le rivage.

Le 3 avril nous étions à la pointe du Nord de la nouvelle Zélande, et c'était avec bien de la joie que je me voyais toucher au moment d'une relâche depuis longtemps desirée, un orage très violent qui s'éleva dans le N.O. nous obligea de prendre le large et ce ne fut que le 12 Avril que nous pûmes bien reconnaître les prétendues îles des Rois, que nous trouvâmes bien différentes de la description que Abel Tasman en fait.

L'île Conningin, la plus grande, qui a tout au plus 2 lieues de tour, n'est guère qu'une montagne qui parait même inaccessible, dans la partie S.O. Nous vîmes de la fumée sur le sommet et y distinguâmes même des hommes, mais point de rivière n'y d'apparence de mouillage, ce qui détermina M. Marion à s'aller pourvoir à la nouvelle Zélande d'eau et de bois dont nous allions manquer.

page 446

Le 13 nous prîmes fond à la côte de la Nouvelle Zélande dans une grande anse où nous jugions que l'on trouverait de l'eau. Le lendemain, la brise fut si faible que nous ne pûmes regagner la côte, mais le 15 M. Marion expédia pour la reconnaître. M. Lehoux qui à son retour nous apprit qu'il avait assez bon mouillage dans l'anse, où se jetait une petite rivière d'eau douce, que le pays lui avait paru habité ayant vu des chemins très fréquentés et les ruines d'un village considérable.

Le 16 à 9 heures du matin nous laissâmes tomber l'ancre par 21 brasses d'eau sur un fond de gros gravier et de coquillages, aussitôt M. Marion expédia M. Croizet pour prendre plus ample connaissance de l'aiguade, mais à peine eut-il abordé sur la côte que le vent qui s'éleva avec force du Nord-Est, l'obligea de faire son retour à bord où il ne se rendit qu'avec beaucoup de peine; vers les 5 heures, les vents soufflèrent avec impetuosité, les courants qui jusqu'alors avaient porté contre le vent nous avaient été d'un grand secours; mais l'un et l'autre devenus contraires me firent chasser sur mon ancre et m'obligèrent à en mouiller une seconde. Je fis dépasser le mât de perroquet et tout disposer pour la nuit, en cas d'évènements; ces précautions me furent très salutaires car à 3 heures du matin l'un de mes cables manqua et craignant d'aborder le Mascarin je mouillais une Sème ancre qui ne tint pas longtemps. Enfin voyant que continuais de chasser, et que j'étais prêt à faire côte, je coupais mes cables et appareillais. J'étais tout au plus à ¼ de lieue des roches lorsque je commençais à courir de l'avant. Je fus bientôt assez élevé et mis à la cape. Les vents furent violents et accompagnés de pluie jusqu'à 10 heures du matin, à une heure après midi, le temps s'étant éclairci et le vent beaucoup apaisé nous vîmes les îles des Rois dont nous n'étions pas bien eloignés, et peu après nous découvrîmes du haut des mâts une voile et ne doutâmes plus que ce fut le Mascarin qui avait subi le même sort que nous. M. Marion me rejoignit bientôt et me fit part du danger qu'i avait couru. La mer avait déferlé sur son gaillard d'avant pendant la nuit; à 8 heures du matin voyant l'évidence de faire côte si le temps continuait, il avait filé ses cables. Le calme ne fut pas de durée, vers les 10 heures le vent reprit avec la même force et nous obligea à mettre à la cape, dans la nuit nous eûmes une éclipse totale de Lune, nous ne negligeâmes rien pour en tirer avantage et suivant nos observations nous étions de 10½° plus à l'est que notre estime. Les vaisseaux fatiguèrent beaucoup et surtout le Mascarin, les vents d'ouest et de très grosses mers nous ballotèrent jusqu'au 23 que M. Marion m'envoya en un canot pour me demander un état de mes besoins les plus pressants, il n'ignorait pas que je commençais

page 448

à avoir des scorbutiques et que depuis plus d'un mois nous étions réduits à une pinte d'eau par jour. Je lui en rendis un compte exact, sur lequel il se décida à ne pas quitter cette côte que nous n'y eussions fait de l'eau et essayé de repêcher nos ancres dont la perte pouvait occasionner des évènements très préjudiciables à notre mission.

Le 26 au matin rangeant la côte de près, pour nous rendre dans l'anse aux ancres nous aperçûmes un village sur une petite colline. M. Marion envoya un canot le reconnaître; à peine eut-il quitté les vaisseaux qu'il aperçut une pirogue le long de la côte; il voulut la joindre, mais les naturels qui la conduisaient se refugièrent dans une anse et abandonnèrent leur bateau à l'arrivée de notre canot au village, les Zélandais effrayés gagnèrent la hauteur où ils avaient un espèce de fort en palissades. M. Lehoux, chargè de cette expédition, leur ayant fait des signes d'amitié, le plus vieux d'entr'eux s'avança et y répondit en renversant sa sagaye, et jeta dans notre canot un très beau poisson; on lui donna quelques mouchoirs et un couteau, sur le champ le Zélandais témoigna son contentement et sa reconnaissance en donnant encore plusieurs poissons.

Les habitants du village sont de couleur olivâtre, grands, bien faits et vêtus d'une grande pelisse de peau.

Aussitôt que nous eûmes mouillé nous mîmes nos canots et chaloupes à la mer pour draguer nos ancres mais nous ne pûmes retrouver que les deux du Mascarin et l'un de mes cables qui était tellement ragué qu'il devenait inutile. M. Marion en m'envoyant un des siens et une ancre me donna ordre d'être prêt à faire voile dès que le temps le permettrait.

Je profitais du calme pour aller visiter la côte et mis pied à terre dans l'anse de sable à l'embouchure d'une petite rivière dont l'eau se trouva malheureusement saumâtre, je remarquais cependant qu'à un mille de l'embouchure elle était bonne mais trop difficile à faire; sur le bord de cette rivière, je trouvais le village abandonné dont j'ai déjà parlé, et une plaine voisine où nous tuâmes plusieurs cailles qui ne cèdent en rien à celles que l'on connait en Europe, il n'était encore que 3 heures ½ lorsque j'aperçus le signal d'appareiller et le vaisseau de M. Marion était déjà sous voiles quand je rejoignis le mien. Le lendemain nous doublâmes le cap Nord de la Nouvelle Zélande, que M.

page 450

Marion a nommé cap Eole nom qui lui est acquis par les fréquentes tempêtes que nous y avons essuyées.

Le 3 Mai à huit heures du matin, n'étant qu'à deux milles de la côte, on apperçut une pirogue qui venait à nous, elle s'approcha du vaisseau de M. Marion qui ne parvint à attirer les Zélandais à bord qu'après leur avoir envoyé par le moyen d'une ligne différents présents, il les renvoya tous vêtus d'une chemise et une culotte, mais ils n'eurent par plutôt quitté le vaisseau qu'ils se depouillèrent de ces nouveaux vêtements pour reprendre les leurs, nous ne tardames pas à voir plusieurs autres pirogues attirées par la bonne réception que l'on avait faite à la première.

Enfin nous eûmes à bord des deux vaisseaux au moins cent Zélandais qui chantèrent et dansèrent presque toujours, ce ne fut même qu'avec peine que nous nous en débarrassâmes et encore sous conditions que nous descendrions chez eux; pour nous y engager davantage ils nous firent entendre que leurs femmes étaient jolies espérant nous attirer par ce moyen propre en effet à réunir les nations les plus diffèrentes dans leurs usages, leurs mœurs et leurs coutumes.

Je remarquai dans leur language beaucoup de rapport avec celui des habitants de Cythère j'employais même avec succès les vocabulaires qu'ont rapportés les vaisseaux de M. Bougainville, il n'en fallut pas davantage pour renouveller nos chagrins et nous ressentîmes plus que jamais la perte de l'insulaire Maijaa, tout concourait à nous inspirer la plus grande confiance dans les Zélandais; leur arrivée à bord sans armes, leur peu de surprise en nous abordant, et le nom de Tapon* qu'ils donnaient à nos fusils nous persuadaient qu'ils avaient déjà vu des Européens sur leurs côtes.

Nous en conçûmes les plus grandes espérances et fîmes sur le champ les dispositions nécessaires pour ancrer au plutôt à une terre où nous nous flattions de trouver tout ce que nous avions besoin pour la réparation de nos vaisseaux et notre approvisionnement d'eau.

Le canot du Mascarin était parti dès le matin pour chercher un ancrage dans la partie Est de l'île et l'après midi le même fut expédié pour reconnaître la baie où s'étaient retirées les pirogues; à 4 heures après minuit ils étaient tous deux de retour, celui de M. Marion avait découvert à 10 lieues des vaisseaux une fort belle baie où l'on pouvait mouiller sur un fond de sable par 15 brasses.

Un grand village sur la côte annonçait dans les environs une rivière ou du moins quelque source d'eau douce. Plusieurs

page 452

pirogues ayant entouré le canot nos gens furent contraints de tirer quelques coups de fusil en l'air pour les écarter et les naturels se retirèrent sans commettre aucun acte d'hostilité, mon canot avait aussi trouvé un très bon mouillage dans la baie voisine. Le lendemain M. Marion ayant envoyé de nouveau la reconnaître y donna sans attendre le retour de nos bateaux; à 4 heures du soir nous les apperçûmes qui débouquaient entre les deux îles; nous leur vîmes avec bien de la joie, le signal d'un port et de bonne eau.

Le Mascarin qui m'avait gagné du chemin rejoignit assez tôt son canot pour se rendre au mouillage avant la nuit; à 5 heures ½ le mien se trouva heureusement assez près pour me faire éviter une roche sous l'eau que j'ai nommé écueil Razeline, et sur laquelle je me serais infailliblement perdu.

Le lendemain 5, dès la pointe du jour nous fûmes assaillis de canots qui nous apportèrent beaucoup de poissons et de coquillages que nous traitâmes pour des vieux clous et quelques verroteries.

Il était resté à bord de M. Marion plusieurs naturels, qui furent tres-inquiets lorsqu'ils virent prendre le large, mais dès que nous revirâmes ils se rassurèrent.

L'endroit où nous étions mouillés était encore peu abri, nous ne tardâmes pas à découvrir fort près de nous un très beau port que nous jugeâmes à propos de sonder avec soin avant de nous y engager.

Le même jour au soir j'accompagnais M. Marion avec mon canot, nous étions pilotés par un homme du pays qui nous fit descendre à la grande île au pied d'une montagne où nous trouvâmes un grand nombre de naturels, nous remarquâmes en cet endroit des bois propres aux réparations dont le Mascarin avait besoin. Le lendemain M. Marion y envoya des ouvriers, et un détachement bien armé pour les protéger. Les officiers de cette expédition crurent s'appercevoir de quelques mouvements de la part des naturels qui étaient en grand nombre autour d'eux, ils redoublèrent de précautions et achevèrent leurs travaux sans aucun obstacle, il se passa cependant en cet endroit quelque chose qui mérite d'être rapporté.

Le sergent qui commandait le détachement, s'étant un peu écarté pour tirer quelques oiseaux, vit venir vers lui 20 ou 30 hommes armés, de grandes sagayes et de massues, il fut d'abord inquiet, mais pour le rassurer ils quittèrent leurs armes, et lui faisant signe qu'à quelques pas de là, ils avaient des ennemis, lui demandèrent son appui; le sergent marcha à leur tête et quant il fut à 50 pas du parti contraire il tira en l'air son coup

page 454

de fusil qui les mit en fuite, ceux-ci reconnaissants accompagnèrent leur protecteur, jusqu'à la chaloupe, en chantant et depuis le nommèrent Tetimon.

Le onze après nous être bien assurés du passage d'un nouveau parti, nous levâmes l'ancre, et le même jour la laissâmes retomber par 14 brasses fond de vase.

A portée de fusil des vaisseaux était une île sur laquelle M. Marion fixa l'aiguade et les tentes pour l'hôpital qu'il fit garder par un caporal et 7 hommes, un grand village fortifié, qui s'y trouvait, fut longtemps d'une grande ressource pour nos malades qui en tiraient journellement du poisson, le seul rafraichissement que nos puissions leur procurer, la plupart étant scorbutiques. L'exercice et le bon air les rendirent bientot convalescents, une espèce de myrthe sauvage qui est fort commun sur la côte, leur fut aussi très salutaire; nos vaisseaux se trouvant dans un port sûr et à l'abri de tous vents, nous ne songeâmes plus qu'à les radoubler; le Mascarin ayant presque tout le côte de l'abord dédoublé, et la partie de l'avant déliée, faisait beaucoup d'eau, le mien n'avait de défectuosités que dans la mâture. Pour la rétablir je fis avec M. Marion et quelquefois séparément des recherches sur toute la côte.

Enfin après bien des peines les naturels desquels nous nous fîmes entendre nous conduisèrent dans une grande anse éloignée de nos vaisseaux d'environ une lieue et demie, ou nous trouvâmes les plus beaux bois. Je n'exagère pas en disant y avoir vu des arbes de plus de 90 pieds de long sans branches et sans nœuds. Il me fut ordonné de faire en cet endroit un établissement.

Le 28 mai je m'y transportait avec la majeure partie de mon équipage, quelques hommes du vaisseau de M. Marion et un détachement de huit soldats, pour protéger nos travailleurs; deux jours ne furent pas trop pour former cet établissement qui devait nous mettre à l'abri des injures de l'hiver pendant un mois au moins.

Notre petite habitation était assez agréablement située, une montagne couronnée d'arbres toujours verts nous mettait à l'abri des vents de mer et le côte du Sud était une vaste plaine marécageuse, à la vérité, mais très abondante en gibier comme cailles, bécassines et canards.

Le jour que nous achevâmes notre établissement M. Marion vint s'y promener et fut curieux de voir par lui-même, les arbres destinés à faire les mâts, ils n'étaient éloignés du rivage que de trois quarts de lieue tout au plus; mais les chemins très-mauvais,

page 456

et quoi qu'on ait pu dire à M. Marion, il voulut y aller. Je l'accompagnais avec plusieurs officiers et nous fîmes le premier quart de lieue sans autre incommodité que celle d'un sentier trés glissant. A cette distance était un marais d'environ 80 toises de large dans lequel nous enfonçâmes jusqu'à la ceinture, et M. Marion était si fatigué en arrivant à la forêt qu'il y voulut coucher, nos représentations n'ayant pu lui faire changer de résolution, il fallut se déterminer à passer la nuit en plein bois. Nous choisîmes pour retraite un très gros arbre, sur le bord d'un ruisseau. Nous n'avions pour toute arme qu'un fusil, encore avions nous brûlé les ¾ de notre poudre pour allumer du feu; n'ayant aucune provision de bouche un de nous retourna à l'établissement pour y prendre des vivres et ramener en même temps 3 hommes armés.

La nuit fut conforme à nos desirs; nous eûmes très-beau temps, personne ne nous inquiéta; dès la pointe du jour nous traçâmes le chemin pour faire sortir du bois nos deux arbres. Les travailleurs qui ne tardèrent pas à nous rejoindre se mirent à l'ouvrage, M. Marion ordonna sept hommes pour la garde du chantier. Nous jouissons de la vie la plus douce et la plus heureuse que l'on puisse espérer chez les peuples sauvages. Les naturels traitaient avec nous de la meilleure foi, leur poissons et leur gibier, et nos matelots bien loin de se décourager par les rigueurs de l'hiver, et un travail pénible, nous donnaient tous les jours de nouvelles preuves de leur zèle, de sorte que nous nous flattions d'être bientôt en état de reprendre la mer.

Le travail des mâts n'occupait ordinairement que 2 officiers, il en restait 4 qui par un arrangement avaient 2 jours de repos.

J'en profitais pour faire une course dans l'intérieur du pays. Je pris un naturel pour guide et accompagné de 2 officiers et trois soldats, nous fîmes dès la pointe du jour, toute diligence pour y pénétrer. Après 2 lieues de marche sur des montagnes nous fûmes fort surpris de nous trouver encore dans une grande anse au bord de la mer.

J'enterpris de reconnaître l'étendue de ce bras, nous nous promettions d'ailleurs une chasse fort heureuse, voyant sur les vases qui bordaient le petit golfe une quantité prodigieuse de canards et sarcelles; mais il ne nous fut presque pas possible de les approcher; la vase était si molle qu'un de nous qui s'avança trop s'y enfonca tout à coup jusqu'aux aisselles et sans les prompts secours que nous lui portâmes, il eut sans doute bientôt disparu. En suivant le bord de la mer nous arrivâmes à un très grand village situé sur une presqu'île, le côté de la terre était défendu par des palissades très élevés et des cavaliers; du plus

page 458

loin que le chef nous apperçut, il vint au devant de nous en criant “Ynemaye” (ce qui veut dire “Viens à moi”) et nous fit asseoir à ses côtés après nous avoir embrassés nez sur nez.

Je parus désirer voir le village, il nous y accompagna, mais ayant voulu entrer dans quelques cabanes, il s'y opposa. J'en fus d'autant plus surpris que dans les autres villages, nous avions toujours eu nos entrées libres. Je ne m'arrêtais pas longtemps dans celui-ci; ayant fait entendre que nous voulions traverser le bras de mer, le Zélandais ordonna aussitôt d'armer 3 pirogues, dans lesquelles nous nous embarquâmes. Je l'en remercia en lui donnant une partie de nos provisions. Dans le trajet je apperçus qu'une pirogue restait de l'arrière, je fis arrêter la mienne, et lorsque l'autre nous rejoignit mes compagnons de voyage me dirent que les bateliers avaient voulu renverser la pirogue; mais qu'ayant mis le patron en joue, il fit ramer, je n'y fit pas grande attention, et je continuai mon chemin sans que ceux qui me conduisaient fissent aucun mouvement; cependantil me tardait d'avoir pied à terre; arrivé à l'autre bord, nous suivîmes de nouveau le rivage et fûmes accompagnés quelque temps d'un grand nombre de Zélandais. A quatre heure aprèsmidi, nous fîmes halte au bord d'une rivière, la plus considérable que nous eussions encore vue.

Nous n'étions qu'à moitié chemin, et nous ne pouvions plus espérer de nous rendre avant la nuit, pour comble de malheur nous nous séparâmes de nos soldats, cependant après 5 heures de marche, nous arrivâmes grace à notre guide sains et saufs à l'établissement où nous trouvâmes les soldats qui n'avaient pas fait meilleure chasse que nous; dans toute la journée, nous ne pûmes tuer que 4 canards et quelques pigeons ramiers.

Dans la nuit l'arrivée d'une pirogue nous réveilla, nous fûmes fort étonnes d'y voir M. de Vaudricourt, officier de la Légion, dont voici en peu de mots l'aventure.

Il avait accompagné ce jour-là M. Marion qu'il avait quitté pour chasser dans les bois où il s'égara. La nuit étant venue, et M. Marion après l'avoir envoyé chercher de tous côtés, était retourné fort inquiet à bord de son vaisseau dont il était au moins à 4 lieues, et M. de Vaudricourt se trouvant vers les 8 heures du soir au bord de la mer, apperçut une lueur et y porta ses pas, c'était un petit village où il fut très-bien accueilli, les naturels lui donnèrent à manger et à la clarté d'un flambeau le ramenèrent à notre établissement, nous les payâmes bien au-delà de leurs peines, et le lendemain M. de Vaudricourt de retour à bord, fit

page 460

part de son aventure à M. Marion qui déjà trop prévenu en faveur de ces peuples prit en eux une confiance absolûment aveugle.

Le 6 Juin, je fus aux traveaux, et j'y vis contre l'ordinaire une grande quantité de naturels, il ne me vint pas à l'idée qu'ils eussent mauvaise intention, il est cependant vraisemblable, qu'ils avaient déjà tramé notre perte, et formé le projet de s'emparer de tous nos effets; nous en fûmes convaincus dès la même nuit, un coup de fusil que nous entendîmes à dix heures du soir nous inquiéta d'abord; mais n'en ayant pas entendu d'autres, nous crûmes nous être trompés, bientôt un des soldats qui gardaient le chantier, nous apprit que des Zélandais s'étaient glissés dans le Corps de Garde en avaient enlevé un fusil et quelques effets; que le factionnaire avait tiré dessus et qu'au bruit du coup de fusil on avait entendu beaucoup qui étaient en embuscade. Sur le champ nous y envoyâmes un détachement, mais avant son arrivée ils avaient pris la fuite.

A la pointe du jour on fit une ronde aux environs sans découvrir personne, mais ayant trouvé un village abandonné tout récemment.

M. Aumont, officier du Mascarin, y fit mettre le feu, et s'empara d'un chef qu'il rencontra sur son chemin, lui imputant le vol qui consistait en une petite ancre de 300 livres, un fusil et une capote, M. Crozet voulut tirer l'aveu du Zélandais et y crut réussir en le faisant lier contre un piquet, mais ayant nié constamment que ce fut lui, il accusa, Pyquiore, chef d'un village trés-voisin de nos vaisseaux, et proposa même de lui faire la guerre; je ne fus nullement de cet avis et M. Marion instruit de tout ce qui s'etait passé, ordonna qu'on élargit le prisonnier et qu'on fit dorénavant meilleure garde.

Pendant la détention de cet insulaire, les autres se tinrent éloignés de nous, et toujours armés. Peu de jours après l'élargissement de leur camarade ils revinrent en grand nombre, on imagina de faire un traité de paix avec eux. Nous presentâmes a l'un des chefs une palme et un sabre nu, il prit la palme et embrassa celui qui la lui avait présentée, se retournant ensuite vers ses gens et leur parla longtemps. Ils promirent de nous apporter du poisson le lendemain, et furent de parole; me defiant néanmoins de cette paix, je demandais à M. Marion un supplément d'armes et de munitions qu'il ne parut donner qu'avec regret.

page 462

Le 12 je fus à bord de M. Marion pour lui rendre compte de tout ce qui s'était passé et lui ayant fait part du peu de droiture que j'avais remarqué' dans les Zélandais il me répondit qu'on devait etre indulgent avec des peuples qui ne connaissent ni le tien ni le mien, ce qui est un vol chez nous n'en étant pas un chez eux, que d'ailleurs il les croyait incapables de tramer contre nous aucun mauvais dessein, et me rapporta comme preuve bien convaincante, que peu de jours avant ayant éé se promener à un village, le chef l'avait accueilli à la tête de tous ses gens, et recu sur des nattes, après lui avoir rendu le fusil volé au corps de garde des mâts; le même jour après-midi M. Marion s'embarqua dans son canot avec M. Lehoux de Vaudricourt et 13 matelots armés de quelques fusils, de sabres, ne l'ayant pas vu revenir à bord le soir, je le crus à l'établissement dans les environs duquel je savais que M. Marion avait dessein d'aller pêcher.

Le lendemain à 6 heures du matin, j'expédiais ma chaloupe pour faire du bois, un volontaire, le maître d'equipage et 10 matelots, s'y embarquèrent; deux heures après nous entendions une voix qui venait du côté de terre et presque au même instant, on appercut un homme qui nageait pour se rendre à bord. Je l'envoyais chercher, c'était un chaloupier qui nous apprit que les Zélandais à leur coutume étaient venus au-devant du canot, et s'étant mis à l'eau avaient porté nos gens à terre, que chaque matelot armé de sa hache et le maître d'un fusil s'étaient rendus au bois, mais à peine étaient-ils à l'ouvrage, qu'ayant entendu un cri affreux, ils furent assaillis de plus de 300 hommes qui les massacrèrent sans qu'ils eussent le temps de se reconnaître, mais que lui heureusement plus avancé dans le bois, ayant été blessé d'un coup de sagaye et ne se voyant attaqué que par 2 de ces barbares, les avait tués à coup de hache et s'était rendu à travers le bois à la vue des vaisseaux, que ne pouvant s'en faire entendre il avait abandonné sa hache pour les regagner à la nage. Cet homme eut à peine fini sa malheureuse aventure, que nous vîmes 5 à 600 sauvages qui allaient attaquer notre hôpital, j'envoyais sur le champ du secours et à l'arrivée de notre bateau ils s'enfuirent presque tous.

J'expédiais de nouveau le même bateau bien armé pour tâcher de découvrir ce qu'était devenu M. Marion et porter du secours à l'établissement des mâts, sur le sort duquel j'étais également inquiet. L'officier qui commandait ette chaloupe vit.

page 464

la mienne échouée dans une petite anse, et un peu plus loin le canot de M. Marion que l'on avait retiré sous un arbre, ces bateaux étaient entourés d'un grand nombre de naturels qui faisaient beaucoup de menaces.

La chaloupe se rendit à l'établissement oû elle arriva fort à propos, tout le monde étant divisé à différents travaux, ce poste presque seul était entouré par plus de 500 hommes armés de sagayes et de massues, du plus loin que les Zélandais apercurent la chaloupe ils ne doutèrent plus qu'ils étaient découverts, ils gagnèrent les montagnes voisines et en s'en allant, ils criaient “Marion Maté” qui signifie tué.

M. Croizet qui était alors occupé à faire trainer les mâts ne pouvant rapparter tous les outils, les fit entrer sous la marquise; cette précaution devint inutile, une centaine de Zélandais qui. étaient en embuscade s'en étant apercus, les enlevèrent à la vue même de nos gens. M. Croizet rendu à l'établissement fit rembarquer tout le monde dans sa chaloupe et mon canot qui suffirent à peine pour les contenir, ils n'eurent pas plutôt quitté le village que les naturels mirent le feu à nos cabanes, on leur tira quelques coups de fusils qui ne les arrêtèrent pas; on remarqua plusieurs naturels revêtus des habits de M. Marion et de ceux de nos matelots, aussi le sabre de M. de Vaudricourt qu'un d'eux portait en bandoulière.

Nous résolûmes M. Croizet et moi d'envoyer toutes nos forces sur l'ile, où les Zélandais paraissaient encore en grand nombre, et nous convînmes d'un signal en cas d'attaque, expédiâmes, sur le champ un détachement que nous l'ayant fait à 7 heures du soir, je renvoyais aussitôt de nouvelles forces dans nos canots qui bientôt de retour nous apprirent que les Zélandais avaient fait une sortie; mais qu'à la première décharge ils s'étaient retirés. J'ai lieu de présumer qu'une volée de coups de canons que je fis tirer des vaisseaux pour appuyer la descente fit un très-bon effet.

Le lendemain 14, les vents soufflant avec force, et l'Officier qui commandait les hôpitaux sur l'ile se voyant encore exposé aux incursions des naturels, résolut de leur donner la chasse, et pour cet effet forma un détachement de 27 hommes qui repoussèrentles Zélandais jusqu'au village fortifié qu'ils avaient sur cette lie et dans lequel ils se refugièrent; nos gens les ayant suivis en forcèrent la palissade et se rendirent maîtres du village après avoir tué 4 des principaux chefs qui en défendaient l'entrée, et

page 466

plus de 500 hommes sans compter les blessés qui se sauvèrent dans les pirogues. Nous voulûmes des vaisseaux nous opposer à leur retraite, mais la brise était si forte, que la chaloupe expédiée pour cette opération, ne put leur couper le chemin.

Enfin nos gens ayant mis le feu au village et n'y voyant plus personne, retournèrent à leur poste, où ils passèrent tranquillement la nuit, nous n'eûmes de blessé que M. le Chevallier de Lorimier, volontaire de la légion et commandant ce détachement.

Le lendemain je fis relever ce poste et continuais à faire de l'eau sur l'ile dont nous restions entièrement les maitres. Après la perte de 27 hommes d'Elite le petit nombre qui nous restait ne suffisant pas pour fournir aux travaux et à la sûreté des vaisseaux, je fus contraint d'abandonner les mâts neufs qui étaient encore fort éloignés de la mer. Ce sacrifice me coûta d'autant plus que mon vaisseau n'avait alors que son grand mât, je parvins cependant à suppléer aux trois autres sans aucun secours de terre.

Nous établîmes une forge à bord du Mascarin et tous nos charpentiers, s'occupèrent de la mâture, le mât de misaine fût composé de 19 pièces, dont la principale était le mât d'artimon, le beaupré et le mât d'artimon furent faits chacuns d'un mât de hune.

Pendant que l'on travaillait à la mâture et au gréement des vaisseaux, le reste des équipages faisait le bois et l'eau, l'un et l'autre se trouvaient sur l'île, de sorte que nous avions moins à craindre de la part des insulaires.

Cependant un jour nos travailleurs furent interrompus par 50 Zélandais, qui pour les surprendre s'étaient cachés dans les fougères, mais ayant été apercus par une des Sentinelles on leur donna la chasse et n'ayant pas eu le temps de rejoindre leur pirogue, ils furent obligés de se réfugier sur un rocher, un peu écarté du village, mais nos gens y étant parvenus pour ainsi dire è la nage, les Zélandais durent se jeter à l'eau pour gagner une ile peu éloignée, on fit alors une décharge qui en tua 7 ou 8. Peu de jours apèes, je fis faire une descente, sur l'ile principale pour mettre le feu au village de Tacoury qui était soupconné de l'assassinat de M. Marion; on n'y trouva qu'un vieillard qui voyant passer près de lui un des nôtres dont il n'avait pas été apercus voulut l'assommer, mais le matelot ayant été manqué le tua d'un coup de fusil.

page 468

Cette expédition nous donna des preuves assez forte de la mort de M. Marion, ayant trouvé dans ce village des ossemeuts humains qui ne s'étaient pas encore séparés de leur chair, ils paraissaient même avoir été passés au feu, dans un autre endroit on vit des intestins d'un homme cachés sous des ordures, et la veste d'un de nos gens criblée de coups de sagaye et teinte de sang. l'on fût aussi sur les lieux où s'était commis l'assassinat mais il n'y avait plus que du débris de nos bateaux.

Enfin désespérant de rien savoir de plus certain sur le sort de M. Marion et nos vaisseaux étant bientôt en état de prendre la mer, il s'agissait de décider oú nous porterions en quittant la Nouvelle-Zélande.

Quoique la mort de M. Marion m'eut laissé la charge et la conduite de l'expédition. Je ne voulus pas m'en raporter è moi seul, et n'ayant trouvé dans les papiers de cet Officier aucun mémoire qui pút me guider en cette occasion, je fis assembler les deux Etats-majors; après avoir raisonné sur nos moyens et les moussons il fut arrêté que nous relâcherions aux îles Mariannes d'oú il serait facile de se rendre aux Manilles; d'ailleurs étant muni d'une recommandation de la Cour d'Espagne pour les Philippines nous nous flattions d'y trouver des secours plus prompts et peut-etre d'y vendre plus avantageusement quelques effets de cargaison pour le compte de M. Marion; cet objet ne me regardait en rien, je ne voulais me mêler d'aucun commerce, mais M. Croizet s'en trouvait chargé, cette seule raison m'aurait déterminé à ne prendre aucun parti sans le consulter.

* ? Tapu.

They had seen Cook and De Surville in 1769.