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Historical Records of New Zealand Vol. II.

L'arrivée à la Nouvelle-Zélande

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L'arrivée à la Nouvelle-Zélande.

Pendant la nuit il a fait très beau temps, le ciel un peu couvert, joli frais du O. à O.S.O. et la mer très belle; quand il a été jour, j'ai relevé la pointe de babord en entrant dans cette baie à l'Est 1° N. environ 2 lieues, celle de tribord au N. 2° et 1 lieue ½, une autre pointe plus avancée dans la baie et du même côté à O. 3° S. 2 lieues. Entre ces deux dernières pointes paraît une jolie anse auprès de laquelle est un village sur une hauteur qui reste au N.O. ¼ O. environ 2 lieues, toute cette partie est haute et montueuse.

La matinée s'est passée à traiter du poisson pour de la toile avec les sauvages qui sont venus avec leurs pirogues à bord, mais, l'après-midi, on a mis un canot à la mer et le capitaine s'est embarqué dedans avec un officier pour voir et sonder l'une qui est au N.O. ¼ O. ou paraît l'etablissement des sauvages et chercher à connaître les dispositions et le génie de ce peuple auquel nous avons à faire. Ils revinrent à bord sur les 7h du soir, et selon leurs rapports, ce peuple n'est pas si féroce comme celui que trouvait Tasman, à la Baie des Meurtriers; ils ont trouvé que cette anse était très propre à y mettre leA vaisseau en sûreté et plus à l'abri qu'il n'est, ayant vu un très bon fond à pouvoir approcher à une petite encâblure de terre.

La nuit a été très belle, le vent a soufflé joli frais de la partie du O. à 5h on a mis le grand canot à l'eau, n'étant plus capable de mettre la chaloupe, eu égard à la faiblesse de notre équipage. On a embarqué dans le canot des barriques vides et des haches pour apporter de l'eau et du bois a feu. Le capitaine s'y est encore embarqué avec un détachement et un officier; il a fait aussi embarquer tous les malades en état de pouvoir un peu marcher; ils sont tous revenus environ 3 heures de l'apres-midi, ayant dans le-dit canot 10 barriques d'eau, un peu de bois, des légumes auvages que nous avons jugés être de l'ache et du grand cresson qu'ils disent être très abondant; je ne sais si ce grand nombre de personnes a étonné les sauvages ou si, depuis hier, ils ont pris des dispositions contre nous, car à l'arrivée de notre canot à terre ils étaient attroupés et armés ce qu'ils n'avaient pas fait hier; il paraissait y avoir beaucoup de rumeur parmi eux et on a cru remarquer qu'ils étaient disposés à une attaque. Les nôtres n'ont pas témoigné faire attention à cette émeute, ils ont gardé un maintien tranquille, se tenant cependant sur

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leurs gardes en cas d'attaque. Le chef qui a reçu beaucoup de caresses de M. de Surville, voyant son monde attroupé est venu trouver le capitaine, lui a fait signe de lui prêter son épée, ce qu'il a fait sans difficulté aussitôt qu'il l'a eue entre les mains, il l'a tirée du fourreau, et courant à la première, troupe de son monde, leur a montré cette épée en leur parlant; sans doute qu'il leur faisait entendre que des hommes qui livraient leurs armes n'avaient pas intention de mal faire. Il a ainsi couru tous les pelotons de sauvages et a rapporté l'épée. Après cette cérémonie, ils ont paru apaisés. Comme on creusait un bassin en terre pour conserver l'eau du ruisseau, ils regardaient curieusement cet ouvrage et paraissaient inquiets, mais l'arrivée des barriques qu'on s'est mis à remplir, les a tirés d'embarras, ils ont même aidé à les rouler pleines au bateau de leur plein gré. Cette petite aventure est cause que nous n'avons pu laisser nos pauvres malades qu'environ une heure à terre. Au départ des bateaux, le chef de ce peuple a fait entendre qu'il voulait venir à bord, on l'a attendu et lorsqu'il a été embarqué, on a poussé au large, aussitôt il s'est élevé des cris sur le rivage et des femmes se sont mises à pleurer. Ce bonhomme a fait signe qu'on arrêta le canot, ce qu'on a fait, et connaissant par les cris qu'il entendait qu'on le rappelait, il est demeuré quelque temps réveur et incertain, mais enfin, prenant son parti, il s'est dépouillé de sa pelisse de peau de chien, l'a donnée à M. de Surville et s'est fait remettre à terre, faisant signe qu'il reviendrait à bord demain matin.

Je ne dois pas oublier ici la réception qui fut faite hier à M. de Surville par le chef des sauvages. Il vint le recevoir à la descente du bateau, tout son monde était épars ça et là sur les montagnes et sur le rivage et faisait sans doute honneur au nouvel hôte en secouant toujours du même côté comme pour faire du vent et en se courbant, les uns avec une pelisse de peau à longs poils et, les autres, des paquets d'herbe. Cette cérémonie a du les fatiguer par sa longueur, car elle a commencé d'aussi loin qu'ils ont aperçu le bateau et a continué jusqu'à ce que le capitaine ait mis le pied à terre. Il s'avança avec le chef jusqu'à l'endroit où l'on s'est arrêté. Il s'est assemblé quelques hommes et femmes autour d'eux sans armes et avec un maintien assez pacifique, mais tout cela était changé ce matin comme je l'ai dit d'autre part.

Le temps a été couvert toute la nuit, il a venté assez bon frais; la terre a été chargée de grains depuis O.S.O. jusqu'à O. ¼ N.O. mais qui se sont dissipés par de petites pluies sans augmenter le vent. Sur la fin de la nuit le temps a été assez beau; au jour le vent était S.O. faible et, à 5h. du matin, M. de Surville et moi sommes partis dans chacun un bateau avec un

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détachement et M. de Saint Paul qui en est l'officier, pour aller a terre conduire nos malades encore en état de pouvoir marcher, avec des haches et des barriques pour répéter la même opération que le jour précédent. Mais, arrivant à terre, nous avons encore trouvé les sauvages assemblés et armés, à l'exception du chef qui nous a reçus au bord du rivage et nous a fait signe de la main de ne pas avancer tous ensemble; après avoir attendu la fin d'un second conseil qui a duré environ une demiheure, le chef s'est avancé vers M. de Surville qui, après l'avoir embrassé, lui a fait présent d'une hache, d'une barrique vide et d'un seau qu'il lui avait demandés le jour précédent, il lui a mis un beau plumet blanc neuf autour de la tête (car ces peuples aiment beaucoup la plume, particulièrement la blanche) le sauvage s'est laissé attacher cet ornement avec assez d'indifférence et l'a embrassé à leur façon (j'en parlerai par la suite) et lui joignant un doigt contre le sien, à tâché de lui faire entendre qu'il voulait vivre en bonne intelligence avec lui, je ne sais s'il l'a bien compris, mais malgrè toutes ces caresses, le sauvage lui a battu froid; néanmoins on a rempli les barriques d'eau et coupé du bois que nous avons apporté à bord avec des légumes qu'eux-mêmes nous ont arrachés auprès de leurs cases.

Environ 3h½ de l'après-midi nous avons appareillè le vaisseau avec un vent depuis l'O. à O. ¼ N.O. Nous avons couru plusieurs bordées et sondé de temps en temps depuis 24 brasses jusqu'à 18. Le fond a varié, c'est à dire que nous avons trouvé quel-quefois du gravier seulement, corail et gravier et enfin du sable très fin. Nous avons mouillé par ce dernier fond de 18 brasses, environ 7h ½ du soir, ayant le village de l'anse où nous avons affaire à O. ¼ N.O. distance de ⅔ de lieue. La plus proche terre qui est un morne au N.O. ¼ N. 4 ½ N. ¼ de lieue; une pointe dans le S. du village à O.S.O. 4 S. ⅔ de lieue; une autre pointe plus S. et plus O. au S.O. ¼ O. une lieue ½. Tous ces relèvements forment une anse dans laquelle nous nous proposons d'aller au 1er temps favorable afin d'y être encore plus à l'abri et à même de protéger nos travailleurs à terre ainsi que nos malades si l'on s'y établit. J'ai observé dans cette baie la latitude S. de ¾ 52.

Le temps a été assez beau jusqu'à minuit et le vent assez fort du S.O. au S.S.O. à 5h du matin il était à grains ce qui nous a fait chasser et filer du câble 80 brasses, alors le vaisseau a tenu et le temps a continué à grains et pluie jusqu'au soir.

La nuit a été assez belle, le vent de moyenne force du S.S.O. au S.O. et S. ¼ S.O. Ce matin à 5h 3 pirogues sont venues, dans

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l'une était le chef d'un village voisin de celui-ci, ils ont monté à bord, on les a conduits à la chambre du conseil et on les a bien accueillis. Le capitaine a fait présent au nouveau chef d'une calebasse et d'une camisole semblable à celle qu'il donna au premier et une couverture de lit de laine verte qui lui a fait envie. Peu après ils s'en sont retournés après avoir fortement engagé d'aller à terre.

Environ 11h nous avons appareillé de ce mouillage après avoir en beaucoup de peine à lever notre ancre quoi qu'on se fut servi d'un appareil et nous avons couru une bordée au S.S.E. jusqu'à midi que l'on a viré de bord à celle du N.N.O. Le vent était alors au S.S.O. joli frais. On a sondé de temps en temps et trouvé 23, 19, et 18 brasses fond de coquillages pourris et gravier enfin à 1h ¼ on a mouillé par 18 brasses et filé 100 brasses de câble, au bout desquelles on a laissé tomber une autre ancre du bossoir pour affourcher de suite, on a viré sur le 1er câble et filé du dernier jusqu'à 40 brasses après quoi fait les relèvements suivants. (Détails hydrographiques inutiles.)

La nuit dernière a été très belle, le ciel clair et serein, quelquefois calme, ou un petit frais. Aux environs du jour, il a commencé à venter joli frais. A 6h du matin il est arrivé plusieurs pirogues à bord et le chef était dans une qui nous a apporté beaucoup de légumes. Lorsqu'il a été à bord, M. de Surville lui à fait tirer un coup de canon du gaillard d'avant, à boulet en mer au bruit et effet duquel il a paru fort étonné et il est resté en extase. A 6h ½ le capitaine est allé à terre avec l'escorte ordinaire, emportant avec lui 2 petits cochons, mâle et femelle, pour faire présent au chef afin d'en multiplier l'espèce dans le pays. Un second bateau est parti en même temps portant les malades à terre. Environ 9h est revenu un de nos bateaux apportant du poisson que M. de Surville a traité à terre et à 2h de l'après midi, ils sont tous revenus avec de l'eau et du bois comme d'ordinaire.

Aujourd'hui les sauvages ne se sont point assemblés, tout s'est passé paisiblement, mais quoi qu'il en soit, M. de Surville a décidé de ne point faire de tente à terre et on n'ira à l'avenir que comme par le passé. Nous avons mangé beaucoup de cresson, surtout au souper dont nous avons ressenti des effets singuliers, principalement 4 de l'Etat-Major dont j'étais du nombre; le visage nous est devenu rouge, tout le corps brûlant, le sang très agitè dans toutes les parties du corps, un goût de sang à la bouche et au nez, moi particulièrement, j'ai eu 2 fois cet accès en moins d'une heure après souper.

La nuit a été comme la précédente, très belle, il y a eu une petite fraîcheur du S.S.O. au S.O. De grand matin sont arrivés

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plusieurs bateaux du pays à bord. Le chef était dans l'un, ils n'ont rien apporté, et environ 6h, M. de Surville est allé à terre comme d'ordinaire. Quelque temps après, un de nos bateaux est arrivé à bord avec du poisson, et, l'après-midi, tout notre monde est revenu à l'ordinaire.

La nuit dernière nous est mort du scorbut un des malheureux insulaires de l'île Bashi enlevés à leur patrie. On est parti ce matin comme à l'ordinaire pour aller à terre.

A 6h du matin M. de Surville est parti avec trois de nos bateaux, 2 officiers et les malades pour aller à une anse près du fond de la baie qu'on avait remarquée hier en pêchant dans cette partie à 8h du soir ils sont revenus avec de l'eau qu'ils ont fait avec une grande facilité, une assez bonne quantité de poisson que nos gens y ont pris à la séne et du bois beaucoup plus facile à couper que celui de l'anse qui est vis-a-vis notre vaisseau.

A 5h du matin, on est encore parti avec 3 bateaux pour cette même anse du fond de la baie; j'ai été dans l'un avec les malades et le chirurgien-major; à 3h de l'après-midi, le vent de l'Est a commencé à fraîchir ce qui ne nous a pas empéchés de continuer de séner par trois fois différentes; environ 5h nous nous sommes tous embarqués pour retourner au vaisseau; j'avais dans mon bateau tous les malades, ce qui faisait avec les rameurs, le chirurgien-major et moi, 33 hommes, il y avait de plus 3 barriques d'eau, du bois à feu, les chaudières et haches et un petit bateau à la traîne du mien qui avait servi pour la commodité de descendre au rivage à pied sec. En quittant l'anse où nous avions passé le jour entier, j'ai mis à la voile pour gagner le vent de cette baie d'où j'eus gagné le vaisseau en l'autre bord, mais le mât était trop faible, il a cassé, ce qui m'a obligé de tenter mon retour à bord à la rame, mais le bateau était trop chargé et celui qui était à la traîne nous empêchait de gagner, en sorte que voyant qu'il fraichissait de plus en plus, que la nuit était faite, qu'il y avait des roches à fleur d'eau auprès desquelles il fallait passer du côté du vent et que les rameurs étaient fatigués, j'ai fait mouiller la grappin pour leur donner le temps de prendre un peu de repos, espérant aussi que le vent calmerait, mais tout le contraire il a augmenté de plus en plus ce qui m'a fait prendre la résolution environ 9h de lever le grappin pour retourner chercher l'abri de l'anse d'où nous étions partis; il était grand temps, car le vent a augmenté tout à coup et a passé au N.E. venant droit de l'ouverture de la baie, ce qui a rendu la mer si mauvaise que nous avons manqué de remplir plusieurs fois, quoique nous fissions vent arrière. La nuit était si obscure que nous ne pouvions apercevoir les écueils sur les quels nous avons manqué de tomber deux fois

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puisque nous les avons approchés jusqu'à les toucher avec les rames. D'un autre côté, le petit bateau que nous avions à la remorque a été jeté 2 fois par la lame jusqu'à gêner les rames, quoiqu'il fût bien filé de l'arrière et plusieurs autres fois est venu frapper avec violence le couronnement de notre canot; autre inconvénient, notre canot prenait tant d'èlan, tant par le fond que par celle que les lames jetaient dedans que nos pauvres malades étaient presque flottants. L'encombrement empêchait de bien la jeter dehors, il eût fallu démonter au moins une rame pour dégager le bateau a fin de mieux retirer l'eau mais comme il fallait fuir à la lame le plus promptement possible pour ne pas abimer sous son volume, je me suis contenté d'en faire jeter le plus qu'il a été possible sans rien déranger. Enfin, près d'arriver à l'anse où nous allions chercher l'abri, nous avons touché le devant du canot sur une roche qui est à la pointe du S.E. avant de l'apercevoir, nous nous en sommes heureusement retirés sans recevoir beaucoup d'eau. Mais le bateau y est resté quelque temps le devant fort élevé et le couronnement au ras de l'eau. Dès ce moment, j'ai fait observer à tout le monde un profond silence afin de n'être pas entendus des sauvages qui habitent sur le haut de cette pointe, dans la crainte qu'ils n'eussent pensés que nous profitions de l'obscurité de la nuit pour les aller surprendre et quand nous avons été assez avancés dans l'anse pour y avoir de l'abri, j'ai fait mouiller le grappin et couvrir tout le monde, particulièrement les malades avec la voile du bateau, ensuite j'ai fait jeter l'eau hors du bateau et fait bonne garde, crainte qu'il ne parut des sauvages.

Sitôt que le jour a été bien formé j'ai fait approcher le canot du rivage et descendre tout mon monde à terre où j'ai fait faire grand feu pour les réchauffer; quelque temps après, quelques sauvages ont paru et sont venus près de nous. Le chef de cette anse était du nombre, je lui ai fait entendre par des signes que notre retour était occasionné par le mauvais temps qui nous a empêchés de regagner le vaisseau, ce qu'il a très bien compris. Comme nous avions du poisson dans notre bateau que nous avions serré la veille, j'en ai partagé la moitié à tout le monde, et gardé l'autre pour le lendemain au cas qu'il ne nous fût pas possible de retourner à bord du vaisseau, car c'était tout ce que nous avions de vivres. Mais j'ai été fort agréablement surpris lorsqu'une espèce de chef d'entre ces sauvages est venu à moi avec du poisson séché qu'il me faisait apporter par un autre sauvage, je le reçus en lui faisant signe que je n'avais rien à lui donner en échange, il me fit signe qu'il ne me demandait rien, et de plus, m'offrait sa case pour nous loger tous; cette offre paraissait partir d'un cœur vraiment humain, et touché

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de l'accident qui nous empêchait de retourner à bord, mais je ne jugeai pas convenable de m'y fier.

Environ 8h quand mon monde eut dejeuné, j'expédiai 8 hommes avec leurs armes pour aller à l'anse Chevalier par terre en passant sur la montagne qui séparait la dite anse d'avec celleci, afin de tenter les moyens d'aller à bord du vaisseau demander des vivres, vu que le temps ne nous permettait pas de sortir de cette anse; le Chirurgien-Major se chargea d'y aller avec eux ainsi armés. Après le départ de ce détachement, je me couchai sur quelques branchages d'arbre que j'avais étendus près du feu sur lesquelles je m'endormis, mais environ ¾ d'heure après, je fus réveillé aux cris de quelqu'un de nos gens qui avaient monté sur une petite hauteur en se promenant et qui rapportait que le vaisseau était jeté au fond de la baie par le vent et la mer; le croyant en perdition, sur le champ je me transportai sur la hauteur de la pointe de cette anse, d'où je l'aperçus en effet au fond de la baie dans le Sud fort près de terre en travers au vent et faisant de trés grand roulis, ma crainte fut d'abord qu'il ne se trouvât échoué, mais peu de temps après, j'aperçus qu'il appareillait la misaine et qu'il cherchait l'abri de terre en se retirant de l'ouverture de cette baie, en effet, environ 2h de l'après-midi, j'ai vu à ma grande satisfaction qu'il a mouillé à peu près dans le Sud de la pointe qui forme l'anse où nous étions et qu'ayant filé une très longue touée le vaisseau y est resté tranquille; tout de suite on a dégréé les vergues et mats de perroquets et amené les basses vergues, mais le vent a continué de la même force et de la même partie jusqu'à la nuit suivante qu'il a passé peu à peu vers l'Est mais encore avec plus de force qu'auparavant, il a passé par gradation au S. de là a l'Ouest, en sorte qu'environ le jour, il était au Nord et, à 7h, revenu au N.O. mais avec beaucoup moins de force et la mer moins grosse.

Le détachement que j'avais envoyé à l'autre anse, revint l'après midi et me rapporta qu'il avait vu le vaisseau prêt à périr sur les rochers de l'Anse Chevalier. Nous passâmes encore cette nuit à terre sous une tente que j'avais fait faire, nous y fîmes bonne garde et la mer qui surmonta par la force du vent vint jusque dans la tente quoiqu'elle fut éloignée du lieu où la mer montait ordinairement, j'avais en soin aussi de faire échouer notre canot à cause de la mer qui le fatiguait énormément.

De bon matin, je fis tout préparer pour nous en aller à bord, je fis remettre le canot à l'eau et embarquer tout le monde avec nos victuailles le plus vite qu'il fût possible et, enfin, nous arrivâmes environ les 3h du matin à bord du vaisseau que je trouvai sur une ancre à fond. C'était la seule qui lui restait,

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si j'en excepte une petite ancre à jet qu'il avait sur le bord et j'appris ce qui s'eétait passé pendant le mauvais temps comme il suit.

De minuit à 4h du matin le vent ayant augmenté et la mer étant devenue fort grosse, on mouilla une 3e ancre parce que le vaisseau chassait. Le vent ayant encore augmenté, le câble d'affour avait cassé. Le vaisseau a chassé sans discontinuer quoiqu'on ne cessa de filer du câble de la 3e ancre mouillée; il tombait sensiblement sur les grosses roches contre lesquelles la mer brisait horriblement et n'en était plus qu'à une portée de fusil à balle lorsqu'on se determina a appareiller; il fallait une prompte manœuvre et de tout l'equipage délabré il manquait 15 ou 20 hommes en état de travailler qui étaient avec moi, mais il n'y avait que ce parti à prendre ou celui de couper les mâts, sans quoi il n'y avait pas de salut. Il fut done ordonné de couper un câble, le dernier mouillé, et de filer l'autre sur le bout, cela s'est exécuté tandis qu'on tâchait de faire abattre le vaisseau par tribord, mais le vaisseau était droit debout au vent qui ne prenait point sur le petit foc qu'on avait hissé et ne faisait que jeter le vaisseau sur les roches et il n'en était plus qu'à portée de pistolet, où il ressentait la mer terrible. Heureusement on parvint à brasser la vergue de misaine à babord, ce qui fit abattre sur tribord; ensuite on le contrebrassa et on borda l'artimon pour empêcher une trop grande arrivée qui aurait également jeté sur l'autre roche, la misaine étant éventée et le vaisseau taillant de l'avant. Il est heureusement sorti d'entre ces terribles écueils. La yolle qui était remplie d'eau a cassé son amarre et s'est perdue; on a dirigé la route pour venir chercher l'abri de l'anse où j'étais lorsqu'on a été un peu au large, on a serré le Petit Foc, cargué la misaine et coupé l'artimon à coups de couteaux parce que la force du vent ne permettait pas de le carguer. On est resté à sec pour avoir le temps d'entalinguer un câble à la dernière ancre. (C'est alors que je voyais le vaisseau au fond de la Baie en travers, roulant beaucoup et que je le jugeai fort près de terre.) Cet ouvrage étant fini on gouverna vers l'anse où il est mouillé, on y jeta l'ancre à 2 heures de l'après-midi et on fila 120 brasses de cable, peu après, on mouilla une ancre à jet au ⅔ de la touée du câble. Ensuite on cala les mâts de hunes, vergues, &c., &c. Lorsqu'on finissait cet ouvrage, la Barre du gouvernail cassa au ras de la mortoise, on en remit une autre qui cassa au même instant. Dans la situation où était le vaisseau, cette Barre n'importait pas beaucoup, car si le câble fût venu à manquer, le navire était perdu sans ressource, mais il pouvait se faire que ce malheur n'arrivât que lorsque le vent changerait; dans ce cas la Barre était indispensable pour sortir. Ce changement de vent était

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done ce qui pouvait arriver de plus heureux (du moins pour ceux qui étaient à bord), au cas que le câble vint à manquer. Mais, heureusement, qu'il a tenu bon et que le vent a changé vers les 10 heures du soir. Il a soufflé avec violence par rafales de cette partie, mais comme le vaisseau n'en resentait que le trait ce qui donnait beaucoup moins d'inquietude, en sorte qu'on a passé toute la nuit sans barre au gouvernail jusqu'au lendemain au soir qu'on a fini d'en faire une 3éme de deux pièces de bois. Le reste de la journée s'est passe à guinder les mâts de hunes, basses, vergues, &c., &c., embarguer nos canots et le petit bateau que j'avais à la remorque.

Le vent du N.O. à O.N.O. étant encore très fort fit casser le grêlin vers les 5h du matin, mais comme on rafraichit le câble sur le champ et qui continua de tenir bon, l'inquiétude ne fut pas grande et les alarmes se dissipèrent; à 8h j'arrivas done à bord avec mes deux bateaux, ramenant tout mon troupeau sans en avoir perdu, mais ayant quelques malades fort mal, tant par le froid que par la pluie. Le vent continua à O.S.O. et reprit force avec beaucoup de pluie, en sorte que si j'eus tardé une demi-heure de plus à terre, je n'aurais pu m'en venir ce jour-la à bord. Dans l'après-midi on gréa la petite barre du gouvernail dans la grande chambre.

Pendant la nuit le vent souffla du S.O. par rafales et grand frais. On trouvera ci-joint le plan de cette baie que j'ai relevé ainsi que la carte réduite de tout ce que nous avons vu de cette terre.

Le temps a été fort beau, on remit le grand canot à la mer, M. de Surville s'y est embarqué avec un officier le Chirurgien-Major et l'Ecrivain pour aller à terre à l'anse dans laquelle j'étais retourné avec mes deux bateaux pendant le mauvais temps; on l'a nommée depuis l'Anse du Refuge. Ils revinrent l'après-midi et rapportèrent quelques légumes, du bois et quelques barriques d'eau.

Vers 8 heures du matin, parcourant avec une lunette d'approche, sans sortir du vaisseau, tous les rivages de cette baie, on aperçut notre yolle au fond de la baie vers l'Est de la pointe de l'Anse du Refuge; M. de Surville s'embarqua avec plusieurs de nos messieurs dans le canot, bien armés comme à l'ordinaire, pour l'aller reprendre et l'amener à bord. Mais nous aperçumes du bord qu'elle disparaissait peu a peu parce que les sauvages la tiraient dans les broussailles, de sorte que M. de Surville ne la trouvant pas, s'adressa aux sauvages qu'il rencontra dans cet endroit où il y avait un assez grand village pour leur demander ce qu'elle était devenue, mais comme il

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n'en put tirer de la satisfaction il se fâcha contre eux; il en fit enlever un de force et conduire au canot les mains liées où il fut gardé à vue, et fit mettre le feu au village, aux pirogues et aux filets qu'il rencontra au rivage; ensuite il parcourut tous les environs de cet endroit en cherchant la yolle qu'il ne trouva pas et revint l'après-midi a bord avec le prisonnier qui se trouva être le même qui m'avait fait apporter du poisson séché lorsque j'étais sans vivres à l'Anse du Refuge pendant le mauvais temps.

Je fus touché de la plus grande compassion à l'arrivée de ce pauvre malheureux à bord, qui me reconnaissant, et ignorant quel serait son sort, se jeta à mes geuoux, me les embrassa fortement, ensuite se releva pour m'embrasser aussi fort le corps, les larmes aux yeux et me disant des choses que je n'entendais pas, mais me faisant signe qu'il était l'homme qui m'avait fait apporter du poisson dans un temps que ni moi ni ceux qui avaient eu le malheur de ne pouvoir regagner le vaisseau, n'avions pas de quoi subsister. Cet homme paraissait me demander sa grâce, ou me prier de la demander, je fis mon possible pour le consoler et lui faire entendre qu'on ne voulait lui faire aucun mal, ce qui fut inutile, car il ne cessa de pleurer, surtout lorsqu'il se vit mettre des fers aux pieds pour s'assurer de sa personne.