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La Nouvelle-Zélande

Chapitre II Historique abrégé de la découverte et de la colonisation

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Chapitre II Historique abrégé de la découverte et de la colonisation.

La Nouvelle-Zélande, on le sait, fut découverte par Abel Tasman, vers le milieu du XVIIe siècle. Les Espagnols ont prétendu que cet honneur revenait à Juan Fernandez, lequel, parti de la côte ouest de l’Amérique du Sud, en 1576, et ayant fait voile, pendant un mois environ, toujours dans la direction du sudest, aborda une grande et riche terre, dont les habitants étaient couverts de vêtements de chanvre tissé. On a voulu voir là le manteau de phormium des Maoris et, dans la grande terre où s’arrêta Fernandez, la Nouvelle-Zélande. Le navigateur espagnol aurait introduit les chiens dans la colonie, et le mot maori « pero », qui désigne cet animal, en serait une preuve convaincante1; de même le terme de « kaipuké », par lequel les indigènes désignent un navire, ne serait autre chose que le mot « buque » défiguré. En l’absence de toute trace matérielle du passage des Espagnols, ces prétendues preuves, il faut l’avouer, sont bien fragiles, et les 7000 milles marins qui s’étendent entre la côte sud-américaine et la Nouvelle-Zélande rendent improbable l’accomplissement d’une traversée aussi rapide (plus de 215 milles par jour) par un voilier, surtout il y a trois siècles. Les grands « descubridorcs » du temps de Philippe II ont assez de hauts faits à leur actif pour que l’on ne chicane pas Tasman sur le mérite de sa découverte. Toutefois, avant de nous occuper du célèbre voyageur hollandais, nous croyons devoir mentionner une tradition, assez peu connue d’ailleurs, qui attribuerait à l’un de nos

1 Chien en espagnol se dit « perro ».

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Lake Taupo, c.1904.

Le Lac Taupo, dans la région des lacs chauds. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

page 28 page 29compatriotes l’honneur d’avoir, le premier, mis le pied sur la grande terre des antipodes.

Dans un récit de voyage publié à Paris, en 1663, et intitulé « Mémoire touchant l’établissement d’une mission chrétienne dans la terre australe, par F. P. D. G., prêtre Indien », il est dit qu’un certain Binot-Paulmier de Gonneville, natif d’Harfleur, en Normandie, y aurait touché, dès l’année 1504. Il passa, du moins, six mois dans un pays que, d’après l’itinéraire suivi, on croit n’avoir pu être autre que la Nouvelle-Zélande. Son navire était à l’ancre dans une rivière qu’il représente comme aussi large que l’Orne près de Caen. Ayant ramené avec lui un indigène, il le maria à l’une de ses parentes, et le petit-fils de ce naturel fut l’auteur, un siècle et demi plus tard, de la relation du voyage de Gonneville, transmise oralement, tous les papiers du navigateur normand ayant été détruits dans un combat avec un navire anglais. L’anonyme « prêtre indien », comme s’intitule le descendant du compagnon de Gonneville. avait fait le vœu de retourner dans la terre de ses ancêtres pour les convertir au christianisme, mais il ne put l’accomplir. Ce qu’il y a de curieux, c’est que la description faite, dans le récit du voyage de Gonneville, des mœurs et coutumes des habitants de la terre australe inconnue, reproduit, avec une fidélité surprenante, celles conservées par les Maoris à l’arrivée des colons, au commencement du xixe siècle.

Pour en revenir à celui qui découvrit véritablement la Nouvelle-Zélande, Abel Tasman étant parti, le 14 août 1642, de Batavia, se rendit d’abord, avec deux vaisseaux, le Hoemshirk et le Zeehaen, à Maurice. De là, faisant voile vers l’est, il découvrit une île qu’il dénomma terre de Van Diemen1, en l’honneur du gouverneur des Indes néerlandaises. Continuant sa route, il aperçut la côte ouest de l’île du Milieu de la Nouvelle-Zélande, qu’il décrit comme une contrée très montagneuse. Il crut tout d’abord avoir trouvé enfin ce continent austral allant jusqu’au

1 Aujourd’hui la Tasmanie.

page 30pôle antarctique, qui, depuis plusieurs générations, hantait l’esprit de ses prédécesseurs, et, persuadé que la terre nouvelle était le prolongement du pays découvert, quelques années aupa ravant, par Schouten et Lemaire, il l’appela « Terre des Etats ». Peu de temps après, l’erreur de Tasman ayant été reconnue, on remplaça ce nom par celui de Nouvelle-Zélande, que la colonie a toujours conservé depuis. Le navigateur hollandais jeta l’ancre dans une baie près de laquelle s’élève aujourd’hui la petite ville de Nelson et à laquelle il donna le nom de baie du Massacre, parce que quatre de ses matelots, s’étant rendus à terre dans un canot, y furent tués par les indigènes. Pour venger la mort des siens, Tasman fit décharger une volée de mitraille sur les natifs; plusieurs restèrent sur la place, et les autres, frappés de terreur, s’enfuirent dans les bois.

Pensant qu’il ne pourrait obtenir, après cela, des naturels, les provisions dont il avait besoin pour son équipage, le chef de l’expédition néerlandaise fit voile vers le nord, en suivant la côte ouest. Il doubla l’extrémité de l’île septentrionale, qu’il appela cap Maria van Diemen, et, ayant aperçu, le 6 janvier 1643, fête de l’Epiphanie, trois îlots situés quelques milles plus au nord, il les nomma les Trois-Rois, en l’honneur des Mages. Puis il regagna les tropiques, sans avoir débarqué sur la terre qu’il venait de découvrir.

Après le voyage de Tasman, l’oubli se fait durant plus d’un siècle autour de la Nouvelle-Zélande. Ce n’est qu’en 1769 que, le premier, Cook devait mettre le pied sur cette terre. Le célèbre navigateur anglais, quittant les îles de la Société où il avait été observer le passage de Vénus, piqua droit sur le sud, toujours à la recherche du fameux continent polaire, à l’existence duquel il croyait encore. L’îlot de Tauranga, sur la côte est, dans le district d’Auckland, est, dit-on, le premier point où il atterrit. On ne se rend pas bien compte du motif qui le porta à donner à cette baie le nom de baie de la Pauvreté, car la région est loin d’être infertile.

Cook visita ensuite le golfe d’Hauraki, au fond duquel s’élève, page 31
Dense rainforest, North Island, New Zealand, c.1904.

Fougèrs arborescentes de la forèt d’okoroiré. - Photographie de J. Martin, a Auckland.

page 32 page 33de nos jours, la ville d’Auckland, puis la rivière de la Tamise et la baie des Iles. Remontant au nord, il doubla le cap Maria van Diemen et longea la côte ouest de l’île du Nord; de son vaisseau, il aperçut et baptisa le mont Egmont. Ensuite, dans trois autres voyages, de 1773 à 1777, il découvrit, entre les deux grandes îles, le détroit qui porte son nom et visita beaucoup d’autres points. A l’époque du premier voyage de Cook, de Surville toucha à la Nouvelle-Zélande avec le navire français le Saint-Jean-Baptiste, à peu près au moment où le navigateur anglais en partait et sur un point très voisin. Ni l’un ni l’autre n’eut jamais, d’ailleurs, connaissance de cette coïncidence curieuse. En 1772, l’infortuné Marion du Fresne fut massacré, avec une partie de son équipage, à Motuaro, dans la baie des Iles. Vingt ans plus tard, en 1793, d’Entrecasteaux, à la recherche de la Pérouse, toucha en Nouvelle-Zélande, et une pointe qui porte son nom rappelle ce souvenir. Les premières années du XIXe siècle virent l’établissement de baleiniers sur quelques points; leur nombre s’étant grossi assez vite de matelots déserteurs, plusieurs petites colonies d’aventuriers européens se formèrent. Ce n’était pas la crème de la population, il s’en faut, mais ils s’étaient donné à eux-mêmes des espèces de lois qui maintenaient un ordre relatif.

En 1814, les missionnaires firent leur apparition et, vers 1825, arrivèrent d’Angleterre les premiers colons sérieux qui s’établirent à Hokianga. Dumont d’Urviile, à bord de l’Astrolabe, croisait, en 1827, sur les côtes de la Nouvelle-Zélande, et l’on put croire, vers 1831, que le gouvernement français allait se décider à coloniser le pays. C’est du moins le bruit que firent courir les missionnaires anglais. Sur leur demande, un certain M. Busby, magistrat australien, fut envoyé à la baie des Iles, deux ans plus tard, avec des pouvoirs assez mal définis. Mais le gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud, à son instigation, reconnut une prétendue confédération des tribus néo-zélandaises: le but des missionnaires était atteint. La confédération ayant reçu un drapeau confectionné par un Américain sur le page 34modèle du pavillon des États-Unis, le fantaisiste drapeau eut l’honneur d’un salut de vingt et un coups de canon par un vaisseau du roi d’Angleterre. Ces événements attirèrent, de nouveau, l’attention de l’Europe sur la colonie des antipodes et, devançant M. de Tonneins, avoué de Périgueux, qui devait plus tard se proclamer roi d’Araucanie, un Français, le baron de Thierry, prétendit, en 1835, se créer un royaume en Nouvelle Zélande.

Fils d’un émigré, il avait assisté, disait-il, au congrès de Vienne, en qualité d’attaché à la Légation portugaise, puis on l’aurait connu, plus tard, officier de cavalerie en Angleterre. Toujours est-il qu’à l’époque dont nous parlons, une proclamation parvenait à M. Busby dans laquelle « Charles, baron de Thierry, chef souverain de la Nouvelle-Zélande et roi de Nunuheva » (sic) annonçait l’intention de venir s’établir dans son royaume. Il ne s’y rendit pourtant qu’en 1839, accompagné d’une centaine d’Européens, recrutés un peu partout, mais ne put jamais faire reconnaître son autorité par les Maoris. Peu à peu ses compagnons l’abandonnèrent, et il mourut, vers le milieu du siècle, pauvre et oublié. Les seuls souvenirs de son éphémère royauté sont un brevet d’amiral accordé à un baleinier et une route royale de quelques centaines de mètres entre la mer et son palais d’Hokianga.

Pendant ce temps, les Anglais de Nouvelle-Zélande multipliaient les démarches dans la mère-patrie. Le duc de Wellington, lorsqu’il était au pouvoir, en 1829, avait formellement refusé de prêter l’oreille à des ouvertures d’annexion, et les Néo-Zélandais, soit dit en passant, se sont montrés bien peu rancuniers, en donnant à leur capitale le nom du « duc de Fer », qui n’avait point voulu entendre parler d’eux. Mais le ministère de l’époque semblait mieux disposé. On fit même grand accueil à un prétendu prince néo-zélandais qui, envoyé de là-bas, fut reçu avec des honneurs et devint à Londres le « lion de la saison ». On sut plus tard que cette altesse, choyée par la haute aristocratie, était tout bonnement le métis d’un flibustier et page 35d’une Maorie de basse extraction. Mais, bien que cette découverte eût jeté un peu d’eau froide sur l’engouement pour les pays lointains, le Gouvernement se vit forcer la main par la constitution de l’association de Karareka, pouvoir improvisé qui prétendait gouverner tous les Européens suivant la loi de Lynch. C’est alors que le capitaine Hobson fut envoyé comme consul britannique à la baie des Iles. Il était porteur, en même temps, d’une commission de lieutenant-gouverneur. A cette époque, l’agent de la compagnie de Nouvelle-Zélande, le colonel Wakefield, achetait à des indigènes — pour des pipes, des fusils et de la poudre, des chapeaux, des peignes
Panorama of Wellington City and harbour, taken from Tinakori Hill, c.1904.

Vue de Wellington. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

page 36et des brosses à dents, des blaircaux à barbe, des savons et des draps — d’énormes étendues de terrain aux environs de Port-Nicholson (aujourd’hui Wellington1).

Sa méthode était simple. Il rassemblait quelques natifs, leur faisait demander par des interprètes comment s’appelaient tels ou tels points. Il ajoutait: « Voulez-vous vendre cette rivière, cette montagne, cette côte, ces îles, etc., pour tel ou tel objet. » Les Maoris répondaient invariablement « oui ». Ils eussent aussi bien vendu la mer ou la lune. Et le marché était conclu.

Pour réglementer cette façon un peu scandaleuse de se constituer des titres de propriété, il était nécessaire d’édicter des lois. Mais au nom de qui? C’est alors qu’on imagina d’annexer la Nouvelle-Zélande. Pour ce faire, il ne fallait pas songer à hisser le drapeau anglais et proclamer la souveraineté britannique, puisque, en 1834, Guillaume IV avait formellement reconnu la Confédération des Tribus unies de la Nouvelle-Zélande et que la reine elle-même avait accrédité près de la susdite Confédération un consul. On imagina alors de faire céder par le prétendu Etat tous ses droits de souveraineté à la reine Victoria. Ce fut le fameux traité de Waitangi (5 février 1840), origine de la domination britannique en Nouvelle-Zélande. Une vingtaine de chefs, que l’on avait eu soin de faire auparavant bien manger et bien boire, signèrent un traité en trois articles, par lequel, au nom de leurs tribus respectives, ils cédaient à Sa Majesté la reine d’Angleterre, sans aucune exception ni réserve, tous leurs droits de souveraineté sur la Nouvelle-Zélande.

En échange, Sa Majesté leur accordait sa protection royale et leur conférait tous les privilèges des sujets anglais. On voit tout de suite que, d’après le droit des gens, un pareil traité était absolument sans valeur. D’abord ces trois douzaines et demie de chefs ne représentaient pas plus les deux cent mille Maoris épars alors sur un pays grand comme les îles Britanniques, que

1 New-Zealand past and present, vol. II, p. 16, by Arthur Chapman, surgeonmajor, 58e régiment, John Murray, Albemarle-street, London, 1859.

page 37vingt chefs de famille, au Havre ou à Marseille, ne représenteraient la Normandie ou la Provence. Quant à la souveraineté, ce serait une plaisanterie que d’essayer de soutenir que la Confédération des tribus néo-zélandaises l’ait jamais exercée ou même possédée. Ils cédaient donc un droit purement imaginaire.

D’ailleurs, les Maoris avaient si peu la conception de la souveraineté territoriale et de la propriété telles que les entendent les peuples civilisés, que certains élevèrent plus tard la prétention de faire payer à des Européens l’usage de la mer où ceux-ci se baignaient! Aujourd’hui, du reste, tous les Anglais de bonne foi conviennent très volontiers que le fameux traité n’était pas sérieux. « Mais il nous a permis, disent-ils, de nous assurer la possession du pays, et c’était là l’essentiel! » John Bull, on le sait, n’est pas sentimental, mais pratique, surtout en matière d’annexion. La difficulté légale étant écartée par « le traité », la souveraineté de la reine fut proclamée, le 21 mai 1840, dans l’île du Nord, et sur l’île du Milieu, un peu plus tard.

Tandis que les Anglais agissaient dans l’île du Nord, les Français, au sud, ne restaient pas inactifs. Dès 1825, des compatriotes à nous s’étaient établis dans l’île Méridionale, et des missionnaires de notre pays évangélisaient les Maoris. Vers 1837, un ancien capitaine marin, nommé Langlois, qui avait habité la Nouvelle-Zélande, revenant en France, parvint à fonder une compagnie qui, sous le nom de Société Nanto-Bordelaise, acheta une grande quantité de terres dans la fertile péninsule d’Akaroa et y établit des colons français. La Société intéressa le Gouvernement à sa cause, et une frégate, l’ Aube, convoyant un vaisseau d’émigrants, le Comte de Paris, reçut mission de prendre possession de l’île du Milieu au nom du roi Louis-Philippe. Mais elle ne fit pas suffisamment diligence, et lorsqu’elle arriva à Akaroa, le 13 août 1840, le pavillon anglais y avait été arboré depuis le 11. Quand on voit ce qu’est la colonie aujourd’hui, il est permis de trouver regrettable que nous en ayons manqué la possession de quarante-huit heures!

Le Comte de Paris suivait l’Aube à trois jours de distance.

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On juge de la cruelle déception des passagers à la vue de l’Union Jack flottant sur une terre qu’ils croyaient française. Ils acceptèrent cependant le fait accompli. Lorsque, plusieurs années après, la Société Nanto-Bordelaise vendit ses propriétés au Gouvernement néo-zélandais, ayant réussi, ils aimèrent mieux rester à Akaroa que de se rendre à Taïti, dont la France venait d’assumer le protectorat. Le dernier de ces courageux colons est mort tout récemment; sa postérité se compose de plus de cent enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants.

De 1843 à 1848 le Gouvernement de Nouvelle-Zélande eut à réprimer plusieurs révoltes de Maoris. L’absorption par l’État de l’ancienne « New-Zealand Company » marque l’année 1850, et c’est en 1852 que fut accordé, par le Cabinet de Londres, la constitution qui faisait de la colonie un « self-government ». Elle n’a cessé depuis lors de se gouverner elle-même. La grande révolte des Maoris, qui dura de 1864 à 1870, a retardé, pendant quelques années, les progrès de la civilisation, mais depuis trente ans, celle-ci a pris un merveilleux essor. Le développement constant du pays prouve la sagesse dont fit preuve le Gouvernement anglais, en accordant à sa jeune colonie l’autonomie que réclamaient ses habitants.

La Nouvelle-Zélande reste toujours attachée à la mère-patrie. Elle se montre fière d’appartenir à l’empire britannique. Jouissant de l’avantage moral d’être membre d’une grande puissance, elle est, matériellement, aussi libre que si elle formait un État indépendant. Que pourrait-elle souhaiter de mieux? Aussi a-t-elle donné, en ces dernières années, à l’« Old Country » les preuves tangibles du plus sincère patriotisme.