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La Nouvelle-Zélande

Chapitre XII La Nouvelle-Zélande et la fédération australienne. — Conclusion

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Chapitre XII La Nouvelle-Zélande et la fédération australienne. — Conclusion.

Nous n’avons jamais eu la prétention, nous l’expliquions au début, de publier un ouvrage politique ou d’économie sociale; toutefois il nous paraît impossible de clore ce livre sur la Nouvelle-Zélande sans dire un mot de la question d’actualité qui prime toutes les autres: la colonie restcra-t-ellc ce qu’elle est ou bien va-t-elle entrer dans la Fédération australienne? Jusqu’à présent, la seconde de ces deux hypothèses parait la moins vraisemblable. Il y a, comme de juste, des fédéralistes et des antifédéralistes. Ces derniers sont les plus nombreux, et le souci de l’exactitude nous oblige à le dire, la manière de voir des uns et des autres semble autant fondée sur les avantages qui pourraient en résulter, pour leurs intérêts matériels particuliers, que par le souci des véritables aspirations de la patrie. Plaçons donc sous les yeux du lecteur les principaux arguments pour ou contre, soumettons-lui les résultats, connus à ce jour1, de l’enquête longue et minutieuse à laquelle s’est livrée la commission royale nommée à cet effet.

C’est le meilleur moyen pour lui permettre de se faire une opinion, en attendant le referendum populaire qui tranchera la question dans un sens ou dans l’autre.

Tout d’abord, pour qui voit d’Europe ce qui va se passer, l’idée de fédération paraît extrêmement séduisante. Voilà, dirat-on, un Etat menacé de rester isolé dans le sud du Pacifique, auquel on offre d’entrer dans cette vaste agglomération qui s’ap-

1 Juin 1901.

page 194pelle
le Comraonwealth australien, et cela dans les mêmes conditions que s’il avait pris part avec les colonies voisines au mouvement fédéraliste aujourd’hui consommé. Va-t-il refuser un pareil avantage? Cela n’aurait pas le sens commun. Faire partie d’un grand pays susceptible de devenir, dans le courant du siècle, presque une nation; qui, d’ores et déjà, représente, au milieu des archipels océaniens, un colosse économique, politique même, autour duquel, par la force des choses, viendront graviter les intérêts de tous les groupements territoriaux du Pacifique, cela constitue certainement une satisfaction d’amourpropre très appréciable. Mais cet avantage d’ordre sentimental est-il assez grand pour qu’un pays, se suffisant si bien à luimême, y sacrifie son indépendance? Qu’on le veuille ou non, en effet, former un Etat dans la Fédération ou être une colonie à part, la différence est profonde; ainsi raisonnent les antifédéralistes. Et quand leurs adversaires objectent que les colonies d’Australie, aussi distantes entre elles que la Nouvelle-Zélande l’est de ce grand continent, conservent, malgré l’union, leur autonomie: «. Les cantons helvétiques l’ont bien aussi, répondent-ils »; mais, pensez-vous que le Valais ou Genève ont la même importance, en Europe, que lorsqu’ils formaient des Républiques? Puis, vous nous la baillez belle avec votre voisinage. Brisbane est, en effet, beaucoup plus loin de Perth, d’Adélaïde même, que Wellington, de Sydney; mais ces Etats se joignent par les colonies intermédiaires; il n’y a pas entre eux de solution de continuité territoriale, tandis que de la Nouvelle-Zélande à l’Australie s’étendent 1250 milles marins sans aucune terre, presaue le trajet de Marseille à Port-Saïd. Cette énorme distance n’est-elle pas déjà un grave obstacle au projet de fédération?
La défense constitue un autre argument en faveur de l’union, mais il n’est pas sérieux d’après les adversaires du mouvement fédératif qui répliquent: « Notre défense terrestre, nous l’assurons nous-mêmes par nos volontaires, notre milice, les batteries fortifiées, construites et entretenues à nos frais sur nos page 195
Black and white illustration of Collins Street, Melbourne, c.1904.

Melbourne: Collins Street. — d’après une photographie.

page 196 page 197côtes. Croyez-vous, qu’en temps de guerre, le Commonwealth pourrait nous envoyer un seul homme ou un canon? Il aurait bien assez à faire, sinon trop, que de protéger efficacement les côtes d’un continent égal en superficie aux quatre cinquièmes de l’Europe. Quant à la défense maritime, il n’y a pas de marine australienne. Si jamais il s’en établit une, comme dans l’Inde, ce sera dans trente ou quarante ans, et encore. Donc, c’est la marine impériale qui est chargée de nous défendre sur mer, et cette protection, la mère patrie nous la doit, nous l’a toujours due depuis soixante années que la souveraineté britannique a été proclamée sur la Nouvelle-Zélande. Elle nous l’assure comme à une portion de l’Empire; nous n’y avons pas moins de droits que l’Australie; nous ne pourrions rien réclamer de plus, le jour où nous ferions partie du Commonwealth.

Vient maintenant la question commerciale. Si, en demeurant à l’écart, la Nouvelle-Zélande se fermait, de façon irrémédiable, le marché australien, elle devrait, cela n’est pas douteux, y regarder à deux fois avant de repousser les avances qui lui sont faites; mais, d’après la majorité des témoins pris dans les classes et professions les plus diverses, dont les dépositions figurent au dossier de la eommission d’enquête, pareille éventualite ne paraît point à craindre. Il serait trop long, fastidieux même, de reproduire ces témoignages. Cependant l’opinion dominante des Néo-Zélandais interrogés peut se résumer ainsi: tout d’abord, le commerce entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, si important qu’il soit, est presque insignifiant comparé à celui de chacun des deux pays avee la Grande-Bretagne, et l’on ne prévoit pas de changement appréciable dans cette situation avant de longues années. Si, même, la Fédération devait développer sensiblement le trafie entre les deux colonies, ce qui d’ailleurs n’est rien moins que démontré, cette augmentation n’atteindrait jamais les sept ou huit millions représentant la quote-part éventuelle du Maoriland dans les dépenses du budget fédéral. Puis les exportations de celle-ei, en Australie, consistent en première ligne, en céréales, en avoine surtout. Ce page 198continent presque tropical devra toujours importer, de Nouvelle-Zélande, des grains, de l’avoine au moins, n’en produisant pas lui-même; il serait, par conséquent, contraire à son propre intérêt de les taxer trop haut. Pour les produits agricoles exportés à la fois par l’une et l’autre sur le marché de Londres, il n’y a pas sujet de craindre que la concurrence de l’Australie ne fasse baisser le cours des marchandises néo-zélandaises, dont la qualité est supérieure et qui payent un fret égal. Quant à celles en provenance des colonies fédérées, importées par la patrie des Maoris, rien ne prouve qu’elles lui soient assez indispensables pour modifier à leur égard son régime douanier, sous peine de se voir fermer, par représailles, les marchés de Melbourne et de Sydney. La guerre de tarifs, du reste, est plutôt un épouvantail, dont font usage les fédéralistes pour les besoins de leur cause, qu’une éventualité à envisager sérieusement. Cette guerre ferait, c’est incontestable, du tort aux deux pays; mais ni l’un ni l’autre ne pouvant en retirer des avantages susceptibles de compenser le dommage à prévoir, aucun des deux ne se souciera de commencer. Alors, à quoi bon se fâcher!

De plus, l’on s’expliquera la répugnanee à entrer dans la Fédération dont fait preuve la majorité des Néo-Zélandais, si l’on réfléchit que les idées politiques et sociales, dans les deux possessions britanniques, présentent des divergences profondes. L’Australie, civilisation très jeune, n’est pourtant point si tard venue dans l’ordre des Etats que la Nouvelle-Zélande; elle a été fondée à une époque et a prospéré pendant une période où le socialisme était considéré comme une dangereuse utopie, et où sa mise en pratique par l’État n’eût même pas été envisagée comme du domaine des choses possibles. Aussi, malgré des tendances démocratiques communes à tous les peuples nouveaux les gouvernants australiens sont-ils encore guidés par un reste de vieilles traditions: c’est à peine si, dans les assemblees législatives du grand continent, on commence à discuter certaines réformes sociales qui, en Nouvelle-Zélande, sont en vigueur depuis nombre d’années. N’oublions pas non plus la page 199
Black and white illustration of welcoming crowd for the Duke of York, Auckland, 1901.

Auckland en 1901 Visite du Duc d’York.- Dessin de Massias d’après une photographie.

page 200 page 201question très importante des races. Les Maoris ont, ici, unesituation privilégiée; ils sont, aux yeux de la loi, absolument les égaux des blancs. Si la colonie entre dans le Commonwealth, le Parlement fédéral admettra-t-il dans son scin des députés indigènes? C’est bien douteux; car les Australiens font si peu de cas des pauvres aborigènes dégradés de leur pays que ceux-ci
Black and white photograph of a young Tongan woman.

Une beautè tobgienne.

page 202n’ont pour ainsi dire point d’existence légale. Ce n’est pas la faible représentation numérique devant échoir à la Nouvelle-Zélande, dans le parlement de l’Union, qui permettrait de faire adopter, contre le vœu des autres colonies, le principe de l’assimilation des Maoris aux citoyens anglais. Il faudrait alors violer les promesses solennellement faites aux natifs néo-zélandais dans le traité de Waitangi et fidèlement tenues depuis lors; reprendre la parole donnée, il y a cinquante ans. Ce serait l’occasion de difficultés, sinon de troubles, en tout cas, un manque de foi bien fâcheux pour le prestige des Européens. Mais nous n’avons signalé qu’une partie des obstacles qu’il s’agirait de surmonter.

En effet, — et c’est là une des plus graves objections, — ce qu’on appelle une Australie entièrement blanche est impossible. Dans la partie tropicale, — la plus vaste en somme, — de cet énorme continent, le black labour ou travail des noirs recrutés dans les îles du Pacifique est indispensable. Si on le supprime, c’est pour le Queensland, dont la production sucrière forme la principale source de richesses, la crise sinon la banqueroute. Mais les les sur l’immigration devant, aux termes de la Constitution fédérale, s’appliquer à tous les Etats du Commonwealth, ceci signifierait l’ouverture aux Canaques de la Nouvelle-Zélande. Or ce pays, actuellement, repousse jusqu’à certains Européens parce qu’ils travaillent à trop bon marché. L’admission des noirs serait le signal d’une véritable levée de boucliers par les Trade Unions, dont l’influence est si grande, qu’aucun Cabinet, à Wellington, s’il cherchait à gouverner contre elles, ne serait assuré du lendemain.

Les Néo-Zélandais, à supposer qu’ils y fussent entrés déjà, sortiraient de la Fédération plutôt que de tolérer l’admission des Canaques; ou, s’ils devaient faire partie de l’Union contre leur gré, quelque temps encore, cela serait, jusqu’à la nouvelle séparation inévitable, une série presque ininterrompue de difficultés.

Est-ce à dire que la Fédération est impossible? Nous ne le page 203pensons pas; nous estimons toutefois qu’il est au moins prématuré d’y croire. Peut-être, dans l’avenir, quand les choses se seront tassées, pourra-t-on en reparler utilement; mais, d’ici là, ou nous nous trompons fort, ou la Nouvelle-Zélande aura beaucoup grandi, et les conditions dans lesquelles elle se présenterait alors pour entrer dans l’Union seraient différentes. Pour qui connaît les affaires du Pacifique et les velléités annexionnistes de M. Seddon, dont celuici du reste, ne fait nullement mystère, si le premier, avant tous ses collègues d’Australasie, il a décidé l’envoi d’un contingent aux frais du budget local dans l’Afrique du Sud, ce n’était pas sans motifs peut-être. A cette époque où l’on estimait généralement que la campagne serait une simple marche militaire sur Pretoria, le transport à grand fracas, des antipodes au cap de Bonne-Espérance, de 200 Néo-Zélandais excita la verve des caricaturistes. Peu importait cependant à King Dick de fournir des sujets aux dessinateurs des journaux satiriques, il avait son idée.

Black and white illustration of Tupou II of Tonga.

Le dernier souvèrain indigene en oceanie. Georges II Tubou, roi des iles Tonga.

Les événements, d’ailleurs, ont dépassé ses prévisions, car ce n’est plus un, mais neuf contingents néo-zélandais que l’Angleterre, revenue de l’optimisme du début, fut heureuse d’accepter. Aussi, était-il sûr de n’être pas désavoué, lorsqu’un an plus tard, par un de ces coups de théâtre qui lui sont familiers, il annonça dans une réunion publique que son Gouvernement — page 204allait annexer Rarotonga, Fidji et Tonga. C’eût été toutefois aller un peu vite en besogne, et quelles que soient les intentions du Cabinet de Londres pour l’avenir des deux derniers groupes au sujet desquels circulent les bruits les plus contradictoires, jusqu’à présent les îles de Cook seules ont été définitivement incorporées. Comme, depuis dix ans, elles étaient protectorat britannique, administré par un résident anglais relevant du gouverneur de la Nouvelle-Zélande, cela ne faisait pas grande différence dans la pratique.

Le morceau toutefois paraissant un peu maigre, lord Ranfurly dans sa tournée à Rarotonga, annexa, afin d’allonger le menu, une dizaine de ces poussières d’îles semées dans le Pacifique entre les grands archipels. Pour Tonga, on se contenta de proclamer le protectorat de l’Angleterre; jusqu’à nouvel ordre on laisse les choses en l’état. Il en va de même pour Fidji, colonie de la Couronne, que, malgré la répugnance de certains colons de cet archipel, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande incorporeront, quelque jour. Cette dernière, nous le pensons, deviendra tôt ou tard le centre de la Fédération polyn ésienne, qu’elle rêve: elle pourra dire alors à l’Australie: « Maintenant, ma grande sœur, si je suis beaucoup plus petite que vous, me voilà devenue néanmoins de dimensions respectables. Vous voulez toujours de moi dans votre confédération, paraît-il. Très bien. Voyons vos conditions actuelles.»

Elles seront, tout porte à le croire, plus avantageuses encore à ce moment qu’aujourd’hui. Alors pourquoi la Nouvelle-Zélande se presserait-elle? Il semble qu’elle ait, au contraire, tout intérêt à voir venir1.

D’ici là, d’ailleurs, les événements auront marché, et, au lieu de s’unir entre elles, les deux Fédérations océaniennes pourraient se trouver, à cette date, sur le point d’entrer, chacune de son côté, dans la grande, la seule, la vraie, selon le cœur de tout bon « jingo » (moins éloignée peut-être que certains esprits

1 Au mois d’août 1902, le Parlement néo-zélandais a repoussé, à une énorme majorité, un projet de fédération avec l’Australie.

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Black and white photograph of a Tongan village, with posing inhabitants.

Un village des Tonga.

ne le supposent) la Fédération impériale de toutes les possessions où flotte l’Union Jack. « Dans cette succession presque ininterrompue, sur le globe terrestre, de colonies anglaises », disent les partisans de la Greater Britain, « le soleil, comme dans les Etats de Philippe II, ne se couche jamais. » Chaîne immense dont les anneaux seront soudés par la communauté de race, la tolérance en matière religieuse, l’autonomie politique et l’activité des échanges commerciaux, seules bases vraiment solides pour une pareille organisation, la colossale Fédération britannique pourra bien, si elle se réalise un jour, laisser loin derrière elle, comme puissance et comme durée, l’empire immense que, du fond du sombre palais de l’Escuriàl, administrait le fils de Charles-Quint.
Cette éventualité est-elle prochaine? Non, sans doute. Mais page 206
Black and white photograph of George Tupou II inspecting a French warship.

Le roi de Tonga a bord de l’aviso-transport Français « durance ». Derriere le Roi, le Commandant; a gauche, le Consul de France. — Dessin de mignon, d’après un instantané pris par un officier du bord.

est-elle à prévoir? Nous le croyons, sans que sa réalisation, d’ailleurs, dans un avenir plus ou moins éloigné, doive, à notre sens, constituer une menace aux possessions des autres pays. Les parties du monde encore inexploitées sont assez vastes pour que tous les peuples, trop étroitement enserrés aujourd’hui dans les limites de la vieille Europe, puissent y trouver, sans se heurter, les débouchés qui leur sont nécessaires, et les entreprises coloniales rencontrent en France, de jour en jour, une plus grande faveur.

Quant à prétendre que nous ne sommes pas colonisateurs, toute notre histoire et de très récents exemples donnent un démenti éclatant à cette théorie pessimiste. Le puissant domaine d’outre-mer qu’ont exploré nos voyageurs, que nous a conquis la vaillance de nos soldats, que mettent en valeur, à page 207l’heure actuelle, nos ingénieurs, nos industriels et nos commerçants, forme pour nous un merveilleux champ d’expériences, sans oublier la part prépondérante que, dans les principales entreprises de tous les pays ouverts aujourd’hui au zèle industrieux des Européens, les chefs vigilants de notre diplomatie tiennent à conserver ou à assurer à nos nationaux.

Un économiste moderne a dit: « A notre époque, les grandes puissances qui veulent rester vraiment dignes de ce nom doivent, de toute nécessité, devenir, si elles ne le sont déjà, largement exportatrices et colonisantes. » Si cette maxime est vraie, notre activité sur tous les points du globe permet heureu sement d’affirmer que, sous ce rapport comme sous tous les autres, quand il s’agit de marcher dans la voie de la civilisation ct du progrès, la France est et saura demeurer au premier rang.

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